Affaire Khashoggi : le dilemme des vendeurs d'armes

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Par Michel MOUTOT - Paris (AFP)
Publié le 24 octobre 2018 - 18:23
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Carte montrant les principaux fournisseurs d'armes de l'Arabie saoudite, selon les données de l'Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri)
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© John SAEKI / AFP
Ventes d'armes à l'Arabie saoudite
© John SAEKI / AFP

Face à l'affaire Khashoggi, les pays occidentaux fournisseurs d'armement à l'Arabie saoudite doivent choisir entre leur volonté de faire pression sur Ryad d'un côté et celle de préserver leurs intérêts économiques, militaires et diplomatiques de l'autre.

Certains, à l'image du président Donald Trump, n'ont pas d'états d'âme : "Je n'aime pas l'idée de mettre fin à un investissement de 110 milliards de dollars" (la dernière commande de matériel militaire américain par l'Arabie Saoudite), a-t-il déclaré.

"Vous savez ce qu'ils vont faire ?" a-t-il ajouté, "Ils vont prendre cet argent et le dépenser en Russie ou en Chine, ou le placer ailleurs. Cela nous fait beaucoup plus de mal qu'à eux". L'Arabie est derrière l'Inde le deuxième importateur mondial d'armements, selon l'Institut international de recherche sur la paix, basé à Stockholm (Sipri).

Le chef du gouvernement socialiste espagnol, Pedro Sanchez, tout en dénonçant le "terrible assassinat" du journaliste saoudien à Istanbul, a clairement énoncé sa priorité : "La défense des intérêts de l'Espagne, du travail de secteurs stratégiques pour la plupart situés dans des zones très affectées par le drame du chômage".

Face à la plus importante vente d'armes canadienne de l'Histoire (742 blindés légers pour 15 milliards de dollars canadiens, doit 9,9 milliards d'euros), le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a assuré "étudier nos options", tout en reconnaissant qu'il était "extrêmement difficile" de l'annuler.

A Paris, les autorités françaises ont choisi de temporiser : "Nous ne prendrons aucune décision hâtive sur nos relations avec l'Arabie Saoudite tant que les faits ne seront pas établis" a confié mercredi une source à l'Elysée.

Interrogée au Parlement mercredi après-midi, la ministre des Armées Florence Parly a déclaré que "la France réclame que toute la lumière soit faite, qu'une enquête crédible soit réalisée" sur le meurtre de Jamal Khashoggi.

""C'est sur la base des conclusions de cette enquête (...) que des décisions seront prises", a-t-elle assuré.

- Moscou et Pékin -

Pour l'instant seule l'Allemagne, dont les ventes d'armes au royaume saoudien sont relativement modestes, s'est prononcée en faveur d'une annulation des exportations militaires vers l'Arabie saoudite, tout en reconnaissant, par la voix de son ministre de l’Économie, Peter Altmaier, "qu'il n'y aura aucun effet positif si nous restons les seuls à arrêter les exportations et si en même temps d'autres pays comblent le trou".

Pour Bruno Tertrais (Fondation pour la recherche stratégique), "les gouvernements occidentaux doivent faire des arbitrages entre, d'une part, les intérêts commerciaux et stratégiques et, d'autre part, la dimension éthique, notamment en l'absence de certitude sur la manière dont ces équipements seront utilisés".

Des appels à l'arrêt des ventes d'armes à Ryad avaient déjà été lancés, depuis le début de l'année, en raison des nombreuses victimes civiles provoquées par les bombardements de la coalition menée par Ryad au Yémen.

"Au-delà de l'affaire Khashoggi, de nombreux pays se posent la question des ventes d'armes à Ryad, ainsi qu'aux Émirats arabes unis", assure Tony Fortin (ONG Observatoire des armements). "Ce débat est très vif en Allemagne, en Suède, en Norvège et en Finlande", dit-il. "Des plaintes ont été déposées contre ces ventes au Royaume-Uni, en Italie, aux Pays-Bas (...) Cela met en lumière nos relations avec Ryad: peut-on se permettre de continuer nos relations stratégiques avec un régime qui martyrise ses opposants, qui étrangle les populations civiles au Yémen et littéralement découpe un journaliste en morceaux ?"

L'Espagne avait un temps envisagé de ne pas honorer une commande de 400 bombes de précision, avant de faire volte-face pour ne pas menacer un contrat portant sur cinq navires de guerre, pour 1,8 milliard d'euros, qui doivent être construits dans une région en proie au chômage.

Pour les experts de la lettre confidentielle Intelligence Online (IOL), d'autres pays, en particulier la Russie et la Chine, se feraient un plaisir de remplacer sur le marché saoudien d'éventuels fournisseurs occidentaux empêchés de livrer par leurs autorités politiques.

"Sur le long terme", écrit IOL mercredi, "la réaction américaine au meurtre de Khashoggi devrait accélérer le rapprochement de Riyad avec des partenaires qui n'ont exprimé aucune remontrance après l'affaire, au premier rang desquels Moscou et Pékin. La Chine est déjà le premier partenaire pétrolier de l'Arabie depuis deux ans et commence à pénétrer les marchés sécuritaires, en premier lieu celui des drones."

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