En Aquitaine, le car ramasse les seniors sur le bord de la "route numérique"

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Par Philippe BERNES-LASSERRE - Villandraut (France) (AFP)
Publié le 29 mai 2018 - 16:40
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Des personnes âgées participent à un atelier dans un "bus numérique" à Villandraut, dans le sud-ouest de la France, le 22 mai 2018
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© GEORGES GOBET / AFP
Des personnes âgées participent à un atelier dans un "bus numérique" à Villandraut, dans le sud-ouest de la France, le 22 mai 2018
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Assurance-maladie, retraites, impôts, carte grise... la dématérialisation laisse sur le bord de la route des cohortes de seniors, peu ou jamais informatisés. En Aquitaine, un "bus numérique" pionnier tente de ramasser ces oubliés, éperdus entre peurs irrationnelles, méconnaissance de l'outil, ou simple solitude.

Villandraut, son château du XIVe siècle, son millier d'habitants et comme ailleurs, ses retraités à la peine, voire "en panique" à l'heure des impôts par internet. Une dizaine s'est enhardie à grimper dans le "bus numérique" lancé par la CARSAT (Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail), annoncé pour la journée sur la place du village girondin.

"S'il vous plaît, on l'allume comment ?" Un rire gêné fuse d'un des 12 postes informatiques, aménagés dans le confortable car climatisé, relooké en vert: bienveillance et réassurance seront les touches les plus activées de la journée. "C'est que je suis mal dégrossie, un peu nounouille..."

Pendant des heures, Sandrine la formatrice va naviguer avec doigté entre les questions, candides ou affolées: "Hou, qu'est-ce que j'ai fait, là ?" Pousser la jeune septuagénaire qui "a une adresse mail, sait aller sur internet" mais pas transférer des photos. Encourager celle sans connexion mais "qui veut en acheter un (ordi) d'ici la fin de l'année... Bien obligée." Ou amadouer telle autre, plus raide, que l'informatique "n'intéresse pas" et qui quittera le car à la pause.

- "Qui va nous aider ?" -

"Il y en a qui ne dorment pas la nuit d'avant venir ici", assure Corinne Hébert, coordinatrice du car, fourni par le prestataire privé SAS SVP (Solutions vie pratique). "Il y a ceux qui ont peur, ceux qui se sentent nuls ou rejetés, parce qu'ils n'ont pas appris. Il y a des curieux, intéressés. Et puis les réfractaires. Une question revient tout le temps: Qui va nous aider ?"

Des pré-retraités jusqu'au grand âge (85 ans ou plus), les "passagers" du car, "à 45% environ, n'ont pas d'adresse électronique. Et la grande majorité de ceux-ci n'ont pas d'outil du tout", diagnostique Corinne Hébert. "Et puis il y a la peur sur les données personnelles, le besoin de conseil à l'achat. Et pour les petits retraites, juste l'impossibilité de se payer le matériel.."

Lancé fin 2016, le "bus numérique" est dans sa deuxième saison: environ 200 villages-étapes, 2.500 bénéficiaires. Et un émule déjà, qui sillonne le Centre-Val-de-Loire.

"Quand il y a 2-3 ans a été annoncée la dématérialisation totale de la déclaration fiscale, la suppression du papier, on a eu une remontée de terrain, des phénomènes de quasi-panique chez certains de nos assurés retraités", se souvient Pierrick Chaussée, directeur-adjoint de la CARSAT Aquitaine.

En jargon social, on appelle cela "déprise sociale de compétence", autrement dit des dizaines de milliers de derniers de cordée de l'informatique. Une "fracture numérique" connue mais ici décuplée par l'informatisation de l'offre sociale, et par l'isolement souvent propre aux seniors.

- "L'institution crée la fracture" -

"Le problème, c'est l'accélération, insiste M. Chaussée. Ca va très, très vite. Des évolutions technologiques, on en a toujours connu mais un certain nombre de personnes sont perdues par rapport à ce rythme".

Cruel paradoxe: "institutionnellement, on crée de nouvelles fractures sociales" avec les orientations prises, aussi légitimes soient-elles. "Car le virage numérique, il n'est pas à prendre, il est pris. Le problème, c'est sortir du virage: soit on maîtrise la trajectoire, soit on s'envoie dans le décor".

C'est là qu'intervient le car, dépêché dans les territoires pour "dédramatiser, démystifier, rassurer" et diriger ce public fragilisé vers un accompagnement durable. Si les collectivités et associations ont les moyens, car à 2.700 euros TTC la journée, les CARSAT n'ont pas vocation à financer des flottes de "bus numériques".

A mesure de l'atelier, détente et blagues s'installent dans le car, riposte adéquate au déluge de concepts sur les débutants: "périphérique détecté", "défragmenter le disque dur", "pavé tactile", "dossiers/fenêtres". Des yeux roulent, des "Pffff" de désespoir fusent. Mais aussi parfois la lumière, le lien recréé: "Aaaaah, OK !"

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