Grèce : l'affaire Novartis, révélateur des pathologies du secteur de la santé

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Par Hélène COLLIOPOULOU - Athènes (AFP)
Publié le 16 février 2018 - 19:01
Mis à jour le 17 février 2018 - 08:28
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Les défaillances du secteur de la santé en Grèce, où les dépenses pharmaceutiques restent particulièrement élevées, laissent le champ libre aux pratiques déloyales de l'industrie, relèvent les experts, sur fond d'enquête en cours contre Novartis.

Le groupe suisse est soupçonné en Grèce d'avoir grevé les finances publiques en obtenant une position privilégiée sur le marché et des tarifs gonflés, via le versement présumé de pots-de-vin à des responsables du privé et du public.

Le parquet grec anti-corruption mène depuis 2016 une enquête portant sur la période 2006-2015, soit avant l'explosion de la crise de la dette mais aussi lors de son pic.

Depuis 2015, Novartis a déjà été condamné à de lourdes amendes pour corruption aux Etats-Unis, en Chine et en Corée du sud.

A la demande du parquet grec, l'Inspection générale de l'administration publique (GEDD) passe au crible d'éventuelles surtarifications des médicaments pour la période incriminée et les possibles responsabilités de hauts fonctionnaires.

"Le secteur de la santé laissait dans le passé une grande marge de manoeuvre en raison des procédures de contrôle laxistes et défaillantes", commente pour l'AFP Maria Papaspyrou, qui dirige la GEDD.

- 'La fiesta des médicaments' -

Outre Novartis, d'autres sociétés auraient, selon des experts, eu des pratiques illégales qualifiées par les médias "fiesta des médicaments".

Au total, les pertes pour l'Etat résultant de ces abus sont estimées à 23 milliards d'euros, dont des dommages de 3 milliards imputés à Novartis seul.

"Quand il y a implication du secteur privé dans le public, les procédures ne sont souvent pas respectées", atteste Maria Papaspyrou, une ex-magistrate, évoquant les négociations entre secteur et industrie pour l'octroi des licences et la fixation des tarifs des médicaments.

Les dépenses pharmaceutiques en Grèce sont particulièrement élevées par rapport à la moyenne en Europe: représentant 23,6% des dépenses de santé en 2006, elles atteignaient 30,7% en 2011, au pic de la crise, avant de redescendre, sous la pression des créanciers, à 25,9% en 2015, selon l'OCDE.

Le secteur, production et vente, pèse lourd dans l'économie locale, avec 13.000 employés. Le nombre de pharmacies par habitant est aussi record: 95 officines pour 100.000 habitants contre une moyenne de 31 dans l'UE.

Et si pour cause de crise, les Grecs ont réduit leurs dépenses de santé, la part de la consommation pharmaceutique y a augmenté: de 19,2% en 2009 elle est passée à 33,7% en 2015, selon des données officielles.

Le secteur de la santé était l'espace privilégié de corruption "en raison des intérêts enchevêtrés entre sociétés pharmaceutiques, +decision-makers+ (hommes politiques ndrl) et la fonction publique", relève une experte ayant requis l'anonymat.

En matière de corruption, le secteur de la santé est comparable à ceux de l'armement, des travaux publics, ou du sport, ajoute cette source.

- 'Impunité' -

La tutelle imposée par les créanciers a renforcé les mesures de contrôle dans la fonction publique. Mais leur mise en application n'a commencé que ces dernières années. "Il faut du temps pour changer les mentalités", estime Mme Papaspyrou.

La nécessité "des réformes dans l'administration grecque était beaucoup plus importante" que dans d'autres pays de la zone euro frappés par la crise, a relevé la semaine dernière lors d'une visite en Grèce Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques.

Selon Maria Papaspyrou, "l'impunité" dont ont longtemps bénéficié les responsables a renforcé la corruption.

L'affaire Novartis, dont l'instruction a suivi une enquête menée aux Etats-Unis, a fait monter en flèche la tension politique, avec la révélation des soupçons pesant sur des hommes politiques, fonctionnaires, médecins et journalistes grecs.

Ces implications présumées, pour valse de pots-de-vin, découlent de dépositions de "témoins protégés" à la police fédérale américaine FBI et à la justice grecque.

Sur initiative de la majorité gouvernementale, le Parlement doit se pencher la semaine prochaine sur les éventuelles responsabilités pénales de deux anciens Premiers ministres et huit ministres des gouvernements de droite et socialiste ayant précédé l'actuelle équipe d'Alexis Tsipras.

Des poursuites pénales pour corruption ont aussi été lancées contre l'ancien vice-président de Novartis Grèce, et l'enquête se poursuit.

A l'instar des pays ayant infligé des amendes à Novartis, le gouvernement a par ailleurs indiqué qu'il se battrait pour "récupérer les milliards d'euros dont Novartis a privé l'État".

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