Procès France Télécom : la valeur de "l'être humain sur le marché du travail" en question

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Par Sandra LACUT - Paris (AFP)
Publié le 04 mai 2019 - 09:00
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Des salariés de France Télécom manifestent à Caen, le 6 octobre 2009 après plusieurs suicides d'employés de l'entreprise
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© MYCHELE DANIAU / AFP/Archives
Des salariés de France Télécom manifestent à Caen, le 6 octobre 2009 après plusieurs suicides d'employés de l'entreprise
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"Que vaut un être humain sur le marché du travail?" Le procès de France Télécom et de ses anciens dirigeants pour harcèlement moral ayant conduit à une vague de suicides, revient à poser cette question, selon le Dr Marie Pezé, pionnière du traitement de la souffrance au travail.

QUESTION: Que signifie ce procès (qui s'ouvre lundi à Paris, ndlr) pour le monde du travail?

REPONSE: C'est le procès qui met au jour de manière exemplaire ou caricaturale ce que l'entreprise peut faire subir à des salariés pour qu'ils partent, ce qu'on appelle désormais le "harcèlement stratégique", qui pose finalement cette question: que vaut un être humain sur le marché du travail?

On oublie que la définition même du harcèlement moral ne retient pas l'intentionnalité mais des conditions de travail à répétition ayant pour conséquence de générer l'atteinte à la santé. C'est important, car beaucoup de managers et chefs d'entreprise ont à l'esprit que tant qu'ils n'ont pas l'intention forte de martyriser leurs salariés, ils ne sont pas dans le cas du harcèlement moral. Dans le cas de (l'ex-patron de France Télécom, devenu Orange) Didier Lombard, il avait créé en interne une école de management, des techniques, pour faire partir les gens comme les déplacer à l'autre bout de la France et les changer de métier.

Je n'aimerais pas être à la place des magistrats (...). S'ils s'en tiennent strictement à la loi, il y aura condamnation. S'ils décident, en période de très grave crise économique, de nuancer la responsabilité qui pèse sur les employeurs, ce sera un message de désinhibition supplémentaire.

Q: Les organisations du travail ont-elles évolué depuis l'affaire?

R: Je ne pense pas qu'elle ait servi de leçon. Dans tous les secteurs il y a des suicides, des syndromes d'effondrement, des dépressions, avec des gens dont les fonctions cognitives sont définitivement touchées, des maladies cardiovasculaires, de l'hypertension, des cancers gynécologiques (...). Je vois tous les jours des gens qu'on éjecte sans même cacher le procédé utilisé pour se débarrasser d'eux.

Un salarié qui réussit n'est plus celui qui est bardé de diplômes et de capacités intellectuelles, ni celui qui a un potentiel physique remarquable mais celui qui s'adapte le plus rapidement à la demande du marché. Et pour faire bouger toute une organisation du travail, il faut un management qui obtient cette efficacité rapide. Soit il a une éthique, du charisme, ce qui n'est pas simple à trouver, soit il manage par la peur - c'est écrit en toutes lettres dans des guides internes aux entreprises: 20% d'objectifs en plus, séparer le salarié de ses collègues pour éviter le collectif de riposte, mettre en place des processus d'évaluation jamais satisfaisants. Il y a une véritable industrialisation de la pression exercée sur les gens.

Q: Tous les secteurs sont-ils touchés?

R: Oui, c'est un processus de destruction collectif, et ce n'est pas seulement la santé des salariés qui se dégrade mais le travail lui-même, même dans des secteurs régaliens comme la police, la santé, l'éducation qui tiennent la société (...). C'est encore pire pour les femmes et leurs enfants, un paradoxe dans le pays où les femmes travaillent le plus. Avec un présentéisme très "corporate" qui ne peut être que celui d'un homme dont la "biodisponibilité" est assurée par une femme à la maison (...).

Le droit est bafoué tous les jours et le droit, c'est ce qu'on vient convoquer quand une société n'arrive plus à réguler ses comportements par des valeurs éthiques puissantes.

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