Affaire Ghosn : ce que son inculpation veut dire, ce qu'il risque

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Par Karyn NISHIMURA-POUPEE - Tokyo (AFP)
Publié le 10 décembre 2018 - 08:34
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Le centre de détention à Tokyo, le 10 décembre 2018 où Carlos Ghosn est détenu
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© Toshifumi KITAMURA / AFP
Le centre de détention à Tokyo, le 10 décembre 2018 où Carlos Ghosn est détenu
© Toshifumi KITAMURA / AFP

Le Japonais Yasuyuki Takai parle d'expérience: des scandales financiers, il en a vu passer en 26 ans de carrière d'enquêteur, notamment au sein de l'unité spéciale du bureau des procureurs de Tokyo, celle-là même qui retient Carlos Ghosn depuis trois semaines.

Carlos Ghosn vient d'être inculpé selon les médias japonais. Quels sont les points clefs de l'enquête ?

Yasuyuki Takai: "Le premier motif concerne le fait d'avoir minoré ses émoluments déclarés aux actionnaires. S'il était acté que les sommes non écrites seraient effectivement réglées ultérieurement, si c'était certain, alors la question ne fait pas débat, il fallait l'écrire chaque année dans le rapport appelé "yukashoken hokokusho".

Les deux points-clefs dans cette affaire sont donc: objectivement, était-il certain que le paiement aurait lieu ? Carlos Ghosn le savait-il ? Si les enquêteurs parviennent à apporter des preuves affirmatives à ces deux questions, alors M. Ghosn sera jugé coupable. Pour le moment cependant, il semble qu'il dise qu'il n'y avait pas de garantie ferme sur ce paiement.

En aucun cas, peut constituer une excuse valable le fait de dire (comme semblent le faire Ghosn et l'administrateur Greg Kelly arrêté en même temps que lui) que l'agence des services financiers a été consultée au préalable de même qu'un avocat, et que la réponse a été "si c'est un paiement différé, ce n'est pas la peine de le déclarer sur les rapports annuels".

La gravité des délits dépend de l'ampleur des conséquences sur le jugement des actionnaires. A quel point ont-ils été trompés, à quel point a pu être altérée leur décision d'acheter ou non des actions Nissan ?

Dans les cas précédents, des chiffres d'affaires ont été gonflés, mais on n'a pas encore eu de cas où un patron a déclaré une rétribution divisée par deux. Pour les actionnaires japonais au moins, c'est un fait jugé grave, car la somme est en outre élevée."

Vous êtes désormais avocat. Que conseilleriez-vous à Carlos Ghosn qui risque gros ?

"Surtout ne pas mentir. Car devant le tribunal, les mensonges sont vite débusqués et le cas échéant les peines sont plus lourdes.

Si de parfaite bonne foi M. Ghosn ignorait l'existence d'une garantie sur ses rétributions différées, il faut bien sûr plaider en ce sens. Mais si le paiement était sûr, il vaut mieux le dire.

Dans la loi japonaise, les dirigeants sont responsables pénalement en cas d'informations mensongères figurant dans ce type de document. La société en tant que personne morale peut aussi être poursuivie. Plusieurs dirigeants de l'entreprise devraient aussi en théorie être inculpés, mais ils ont manifestement passé un contrat avec le bureau des procureurs dans le cadre d'une nouvelle loi sur la négociation de peine. Cela leur permet théoriquement de ne pas être condamnés ou a minima, en échange d'une contribution active à l'enquête.

Ce que risque Ghosn dépend du nombre d'inculpations. S'il est inculpé uniquement pour les années de fausses déclarations de rémunération, il peut obtenir un sursis. Mais si s'y ajoute une condamnation d'abus de biens sociaux, il peut écoper de 7 à 8 ans de prison ferme".

Cette affaire a une envergure internationale et un fort retentissement en France où l'Etat est actionnaire de Renault. Le parquet peut-il être sensible à cela ?

"Les enquêteurs n'en tiendront bien sûr absolument pas compte. Cela ne les incitera ni à être plus souples, ni plus durs.

S'il n'y avait pas de raison de l'arrêter, ils ne l'auraient pas fait. S'il n'y avait pas de raison de l'inculper, ils ne l'inculperaient pas.

Si jamais M. Ghosn n'est pas renvoyé au tribunal, il ne faudra pas y voir le résultat de pressions quelconques, mais du fait que les preuves n'ont pas été réunies. De même, s'il est poursuivi, ce ne sera pas en réaction à des pressions, mais parce que les éléments sont là pour le faire.

Avant de l'arrêter, les enquêteurs sont censés avoir réuni assez d'éléments le désignant coupable, mais si d'aventure tel n'est pas le cas, c'est grave, un énorme échec. La confiance en cette section spéciale serait réduite à néant. Ils le savent très bien et n'ont par conséquent pas agi à la légère".

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