Arbitrage Tapie : quelle cohérence entre les différentes décisions de justice ?

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Par Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 10 juillet 2019 - 21:22
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Bernard Tapie, lors d'une conférence à Liège, le 27 septembre 2018
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© Emmanuel DUNAND / AFP
Les deux décisions rendues, au civil puis au pénal, dans l'arbitrage dont a bénéficié Bernard Tapie, sont diamétralement opposées
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Condamné à rembourser les millions perçus en 2008 mais relaxé mardi par le tribunal correctionnel: les deux décisions rendues, au civil puis au pénal, dans l'arbitrage dont a bénéficié Bernard Tapie, sont diamétralement opposées. Mais sont-elles pour autant incohérentes?

Question: Pourquoi la justice s'est-elle d'abord prononcée au civil?

Réponse: Dans la tentaculaire affaire de l'arbitrage Tapie, censé solder un vieux litige entre l'homme d'affaires et le Crédit Lyonnais lié à la revente d'Adidas dans les années 1990, la justice civile a rendu deux décisions en 2015, définitives alors que s'ouvrait le procès pénal.

Saisie d'un recours en révision du Consortium de réalisation (CDR) -l'organisme chargé de gérer l'héritage de l'ex-banque publique- la cour d'appel de Paris a d'abord annulé l'arbitrage pour "fraude", puis a condamné Bernard Tapie à restituer les 403 millions d'euros octroyés en 2008.

Le tribunal correctionnel de Paris a lui considéré que rien ne prouvait une "escroquerie" lors de cet arbitrage et a relaxé mardi Bernard Tapie, le PDG d'Orange Stéphane Richard et quatre autres prévenus.

La seule personne condamnée à l'heure actuelle est l'ancienne ministre de l'Economie Christine Lagarde. Elle avait été déclarée coupable fin 2016 de "négligence" pour ne pas avoir exercé de recours contre la sentence arbitrale, mais la Cour de justice de la République (CJR) l'avait dispensée de peine.

"Il n'y a aucune cohérence, strictement aucune" entre toutes ces décisions, estime Hervé Temime, l'un des avocats de Bernard Tapie.

Pour lui, "c'est une anomalie qui tient au fait que la juridiction civile a cru pouvoir fonder une décision sur l'analyse de pièces partielles du dossier pénal et sans débat contradictoire, avant tout jugement d'une juridiction pénale".

"Normalement, le pénal tient le civil en état. Il faut toujours mieux juger une affaire au pénal avant le civil car les critères sont plus stricts", souligne Denis Chemla, avocat en droit des affaires qui a notamment défendu la banque suisse UBS.

Pour autant, "le juge pénal n'a pas les mains liées et peut procéder à une nouvelle lecture du dossier", relève-t-il. Les juridictions civile et pénale répondant à des questions différentes, les décisions rendues ne sont selon lui "pas nécessairement contradictoires".

"Il peut y avoir une annulation de l'arbitrage au civil car il y a un soupçon de partialité d'un arbitre. Au pénal, il faut prouver les manœuvres frauduleuses, la tromperie, la connivence… Ce sont deux niveaux différents", explique Me Chemla.

Q: Des recours sont-ils possibles?

R: Le parquet de Paris, qui avait requis la condamnation de cinq des six prévenus au procès pénal et demandé cinq ans de prison ferme contre Bernard Tapie, n'a pas encore dit s'il allait interjeter appel. Il a dix jours pour le faire.

Par ailleurs, Bernard Tapie étant exonéré pénalement d'avoir commis des "manœuvres frauduleuses", est-il en droit de demander une révision de la décision annulant l'arbitrage au civil?

"Impossible" assure l'avocat du CDR Benoît Chabert. "On ne peut pas demander une révision d'une révision".

"Tant que la décision pénale n'est pas définitive, la question ne se pose pas", balaye Me Julia Minkowski, qui défend également Bernard Tapie.

Q: Quelles sont les autres procédures en cours?

R: Le dossier Tapie-Crédit Lyonnais est loin d'être clos.

Condamné au civil, l'homme d'affaires qui est en faillite personnelle depuis décembre 1994 doit toujours rembourser les sommes perçues lors de l'arbitrage.

Après le rejet de deux plans de remboursement, le tribunal de commerce de Bobigny doit examiner le 30 octobre une demande de liquidation judiciaire des sociétés de l'homme d'affaires.

Cette procédure a été dépaysée hors Paris à la demande de Bernard Tapie car une information judiciaire pour "escroquerie au jugement" a été ouverte par le parquet de Paris et vise une décision favorable à l'homme d'affaires concernant son premier plan de remboursement.

D'autres procédures commerciales sont en cours en Grande-Bretagne ou en Belgique et Bernard Tapie a également déposé une "plainte en manquement" contre la France devant la Commission européenne pour non-respect des règles du droit de la concurrence lors de la cession d'Adidas.

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