Au procès de France Télécom, la charge contre les ex-dirigeants de l'entreprise

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Par Caroline TAIX - Paris (AFP)
Publié le 09 mai 2019 - 23:34
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"En 27 ans de carrière, des lettres comme ça, je n'en avais jamais vues": l'inspectrice du travail qui a enquêté il y a dix ans à France Télécom lors de la vague de suicides de salariés, a accablé mardi les ex-dirigeants de l'entreprise jugés pour "harcèlement moral".

Quel contraste avec les déclarations de l'ancien patron de la société, Didier Lombard, qui a nié mardi toute "crise sociale" dans l'entreprise. "Bien sûr qu'il y avait une crise sociale", lui a opposé l'inspectrice du travail Sylvie Catala. "Ce n'est pas tous les jours que le ministre de l'Economie demande (...) d'intensifier les contrôles parce qu'il y a eu des suicides dans une entreprise!".

L'affaire France Télécom a pris un tournant à l'été et à l'automne 2009. Les suicides se sont multipliés. Le 14 juillet, un salarié, Michel Deparis, mettait fin à ses jours en laissant un courrier: "Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C'est la seule cause". Il dénonçait le "management par la terreur".

Deux mois plus tard, Patrick Ackermann, du syndicat SUD PTT, déposait plainte, puis Mme Catala était saisie du dossier. Le 4 février 2010, elle adressait un signalement au parquet. En octobre, après un nouveau suicide, elle avait écrit à Didier Lombard pour qu'il prenne "des mesures très rapidement pour arrêter cette hécatombe".

Les dirigeants de l'entreprise avaient lancé un vaste programme de restructuration: les plans NExT et Act visaient à transformer France Télécom en trois ans, avec notamment l'objectif de 22.000 départs sur 120.000 salariés et 10.000 changements de postes.

Or France Télécom, privatisée en 2004, était en 2007 composée aux deux tiers de fonctionnaires, qui ne pouvaient donc pas être licenciés. Faute d'être parvenue à un accord avec les organisations syndicales, l'entreprise a pris, avec ces deux plans, "une décision unilatérale". "Il n'y avait aucun cadre" pour les changements de poste, les reclassements etc.

- "Comportements déviants" -

L'inspectrice a déploré "les pratiques brutales", "les pressions" pour pousser les gens à partir. "C'était frappant: on demandait aux salariés de se trouver un poste après leur avoir signifié que le leur était supprimé".

L'inspectrice a examiné plusieurs messages de salariés, qui faisaient tous un lien entre leur souffrance et leur travail. "En 27 ans de carrière, des lettres comme ça, je n'en avais jamais vues", a dit Mme Catala. Plusieurs alertes "auraient dû conduire à une réaction de la direction beaucoup plus tôt qu'en 2009", a-t-elle ajouté, en répétant: "dans le droit français, l'entreprise a le devoir d'assurer la santé et la sécurité des travailleurs".

"La situation était alarmante", a confirmé Jean-Claude Delgenes, directeur du cabinet Technologia, opérant dans la prévention des risques liés au travail. Nommé par la direction de France Télécom et le Comité hygiène et sécurité, il a mené une enquête dans l'entreprise entre septembre 2009 et juin 2010.

"France Télécom avait la culture du grand projet, par exemple avec la création du Minitel. (...) Mais à un moment, la culture a seulement été de réduire les effectifs. Imaginez l'effet psychique sur les salariés!", a-t-il expliqué.

Pour M. Delgenes, Didier Lombard a instauré "la réorganisation permanente", avec "la volonté de pousser les gens à partir par tous les moyens possibles". "Les gens étaient des cibles. (...) Les managers étaient éduqués pour repérer les gens qui pouvaient partir". Ces managers étaient "la courroie de transmission" et leurs primes variables étaient "corrélées au taux de décrutement". On a "banalisé des comportements déviants" de leur part.

Les 22.000 départs devaient se faire "par la fenêtre ou par la porte", a expliqué Patrick Ackermann, reprenant une expression de Didier Lombard. "Les 22.000, ça pouvait être n'importe qui à tous les étages".

Le syndicaliste a évoqué plusieurs personnes qui se sont suicidées. "Votre boulot, c'était d'aller voir les familles. Vous n'avez même pas eu la dignité de contacter ces gens-là", a-t-il dit aux prévenus, alignés sur leur fauteuil à côté de lui. "Même dix ans après, je suis atterré", a-t-il lâché à ses ex-patrons.

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