Au procès des "fantômes" du jihad, l'avocat du mort

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Par Sofia BOUDERBALA - Paris (AFP)
Publié le 06 janvier 2020 - 18:44
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Ils sont présumés morts en Irak ou en Syrie au nom du "califat" jihadiste: face à la justice française qui les juge aux assises de Paris, l'un des accusés fantômes, Quentin Roy, va se défendre.

C'est un procès singulier qui s'est ouvert lundi pour deux semaines devant la cour d'assises spéciale: sur 24 accusés partis en 2014-2015 en Irak ou en Syrie, 19 jihadistes présumés sont considérés comme morts ou disparus bien qu'officiellement toujours recherchés.

Quentin Roy est de ceux-là: de sa bande de copains de Sevran (Seine-Saint-Denis), il est un des premiers à partir pour la Syrie, via la Turquie, en septembre 2014.

Le 14 janvier 2016, Véronique Roy reçoit via WhatsApp une copie du testament de son fils, "tombé en martyr en terre du khilafah". Le messager anonyme laisse entendre que Quentin est mort dans une opération suicide. Il avait 23 ans.

Depuis, ses parents ont multiplié les démarches pour "comprendre" ce qui avait pu pousser leur cadet, un gamin joyeux, sportif, "qui n'a manqué de rien", à s'enferrer dans un rigorisme mortifère après avoir notamment fréquenté la mosquée des Radars de Sevran.

Depuis la Syrie, Quentin a jusqu'au bout gardé des contacts avec ses parents, par des messages rassurants agrémentés de citations du coran, tout en incitant ses amis à agir en France - "Ceux qui tapent chez vous c'est le meilleur" - à défaut de pouvoir gagner la Syrie.

Lundi, Me Antoine Ory s'est présenté devant la cour pour le défendre.

- "Puisqu'on juge un mort" -

Le président Stéphane Duchemin a immédiatement relevé cette "situation particulière, au regard du décès de Quentin Roy". Mais, a-t-il ajouté, "Me Ory m'a fait remarquer que puisqu'on jugeait un mort, il pouvait bien être représenté".

L'avocat général s'est borné à rappeler le code de procédure pénal, "très clair" quant au droit d'un accusé jugé en son absence à être représenté par un avocat.

La cour d'assises a donc validé la présence de l'avocat du mort, qui s'est engagé à défendre strictement son client et "pas ses parents".

Dans cette affaire, la présence de Me Ory vient incarner un des paradoxes français en matière de terrorisme. La justice réclame et condamne des dizaines d'accusés absents, alors que l'Etat français refuse de rapatrier ces mêmes jihadistes présumés pour les juger "au nom du peuple français".

Ces dernières années, des dizaines de mandats d'arrêt ont été émis à l'encontre des jeunes Français partis rejoindre le théâtre irako-syrien. La peine maximale encourue est systématiquement infligée aux absents: soit, aux assises, 20 à 30 ans de réclusion criminelle pour association de malfaiteurs à visée terroriste, selon que les faits jugés soient antérieurs ou postérieurs à la loi d'avril 2016.

Au sein du Collectif des familles unies, Véronique et Thierry Roy militent pour le rapatriement des adultes, pour qu'ils soient "jugés en France", et de leurs enfants, victimes de guerre et "abandonnés par l'Etat français".

Quatre ans après la mort de leur fils, ils s'estiment eux-aussi victimes du terrorisme. Véronique Roy a donc tenté de se constituer partie civile et s'est heurtée à une ferme opposition de l'accusation comme de la cour.

"Le chagrin et le drame n'autorisent pas tout", a affirmé l'avocat général, rappelant que l'action civile ne pouvait être engagée que "dès lors qu'un préjudice direct découle de l'infraction", ce qui pour lui n'est pas le cas de Mme Roy.

"On ne concevrait pas que les parents d'un jeune impliqué dans un trafic de stupéfiants se constituent partie civile", a-t-il ajouté.

Meurtrie, Véronique Roy a réagi en marge de l'audience: "On veut simplement que les parts d'ombre soient éclairées. On est là pour dire aussi qu'il faut que ça cesse. C'est arrivé à notre enfant, il a adhéré, c'est sa responsabilité. Il est mort donc il a payé mais il est jugé en tant que mort, c'est aberrant".

Le procès est prévu jusqu'au 17 janvier.

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