Au procès Mediator, charge contre les "stratagèmes mercantiles" de Servier

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Par Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 16 juin 2020 - 22:47
Mis à jour le 17 juin 2020 - 00:06
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Une boîte de Mediator, le 18 novembre 2010
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© FRED TANNEAU / AFP/Archives
Une boîte de comprimés de Mediator en novembre 2010 à Brest
© FRED TANNEAU / AFP/Archives

Une "motivation évidemment mercantile": les avocats des caisses d'assurance maladie ont dénoncé mardi à Paris au procès du scandale sanitaire du Mediator les "stratagèmes" des laboratoires Servier pour continuer à commercialiser "coûte que coûte" ce médicament tenu pour responsable de centaines de décès.

Le Mediator, présenté comme un antidiabétique mais largement détourné comme coupe-faim, avait été mis sur le marché en 1976. Inscrit sur la liste des spécialités remboursables, il sera pris en charge pendant les 33 ans de sa commercialisation par l'assurance maladie.

S'estimant victimes d'une "escroquerie", les caisses des régimes obligatoires, des régimes complémentaires et des mutuelles sont parties civiles à ce procès pénal, ouvert le 23 septembre devant le tribunal correctionnel.

Les sommes totales réclamées s'élèvent à plus de 450 millions d'euros, dont 331 millions d'euros pour les 107 caisses du régime général d'assurance maladie, selon l'avocat de ces dernières, Georges Holleaux.

Dans ce procès "hors norme", aux forts enjeux humains mais aussi "financiers", les avocats des caisses se sont attachés à démontrer que leurs demandes indemnitaires étaient fondées, alors que leur recevabilité est contestée par la défense.

Le groupe pharmaceutique et son ancien numéro 2 Jean-Philippe Seta, auquel il est également reproché une "escroquerie", se sont toujours défendus d'avoir trompé les caisses d'assurance maladie et d'avoir dissimulé les propriétés anorexigènes du Mediator et ses dangereux effets secondaires.

Pour les parties civiles au contraire, Servier a mis en place "une série de stratagèmes" pour s'assurer de ce remboursement "par la solidarité nationale".

"Ca a été sa seule obsession", tacle Me Cyril Gosset, l'un des trois défenseurs des caisses de la mutualité sociale agricole (MSA) et du régime social des indépendants (RSI).

Sa consoeur Géraldine Brasier-Porterie pilonne un "acharnement des laboratoires à maintenir ce médicament et à lutter contre la révélation de ce qu'il est, un anorexigène".

- "Très rentable" -

"Ils avaient parfaitement connaissance des propriétés anorexigènes" du médicament, martèle à son tour Diane Dumas, autre avocate de la MSA.

En 1995, vingt ans après sa mise sur le marché, le Mediator était placé sous enquête de pharmacovigilance, en raison de sa parenté chimique avec deux coupe-faim de Servier, l'Isoméride et Ponderal. Ces deux anorexigènes seront interdits en 1997, après avoir provoqué de graves maladies cardiaques, les mêmes que causera le Mediator.

Son autorisation de mise sur le marché sera renouvelée à sept reprises. "Sept occasions pour Servier de continuer à dissimuler volontairement les effets toxiques" du Mediator, déplore Me Dumas.

Elle invite le tribunal à s'interroger sur les raisons du groupe pharmaceutique. Son fondateur et ancien président Jacques Servier, décédé en 2014, a toujours minimisé l'importance du Mediator: "jamais plus de 0,7% de notre chiffre d'affaires", disait-il. Jean-Philippe Seta évoquait "un produit mineur".

"En réalité, le Mediator, ce sont 144,6 millions de boîtes vendues en France, près de 60 millions de mois de traitement, comme si chaque Français avait eu un mois de traitement de Mediator et près de 500 millions d'euros de chiffre d'affaires réalisés depuis 1984", insiste Diane Dumas.

Avec un "faible coût de production", c'était aussi un "médicament très rentable", avec "une marge brute moyenne de plus de 64% de 2002 à 2007", calcule l'avocate.

Visé par la politique de déremboursement des médicaments à l'efficacité insuffisante, lancée en 1999 par Martine Aubry, alors ministre de la Solidarité, le Mediator était "en danger de mort", rappelle Georges Holleaux.

Mais les laboratoires "échapperont" au déremboursement de ce médicament, qui sera remboursé au taux plein de 65% jusqu'à son retrait en novembre 2009, un an avant la révélation du scandale sanitaire.

Les laboratoires Servier, également renvoyés pour "tromperie aggravée" et "homicides et blessures involontaires", encourent de lourdes amendes et les indemnisations de nombreuses victimes. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps) comparaît à leurs côtés pour avoir tardé à suspendre le Mediator, malgré les alertes répétées sur sa dangerosité.

Les plaidoiries des parties civiles se poursuivent jusqu'à lundi, avant les réquisitions du parquet, attendues les 23 et 24 juin.

La fin de ce procès-fleuve est prévue le 6 juillet.

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