Aux assises, la mosquée de Sevran ou l'antichambre du jihad

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Par Sofia BOUDERBALA - Paris (AFP)
Publié le 07 janvier 2020 - 16:28
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Une balance de la justice
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© LOIC VENANCE / AFP
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Il n'était pas question d'appeler "ouvertement" au départ, mais la mosquée des Radars de Sevran (Seine-Saint-Denis) a vu une dizaine de ses fidèles gagner la Syrie en 2014-2015: aux assises de Paris, des témoins ont décrit à leur corps défendant une antichambre du jihad.

"L'objectif premier de ce lieu de culte, c'était l'instruction des personnes qui y venaient. Il n'y avait pas de conférence pour aller en Syrie et préparer son sac à dos", affirme Jérôme Bossard, converti à l'islam en 2000 et responsable de la mosquée d'avril à l'été 2014.

Depuis lundi, la cour d'assises spéciale de Paris cherche à comprendre pourquoi et comment se sont organisées des filières de départ vers la zone irako-syrienne: sur 24 accusés d'association de malfaiteurs à visée terroriste, 19 jihadistes présumés sont considérés comme morts ou disparus bien qu'officiellement toujours recherchés.

Quand le président l'interroge sur le "phénomène de radicalisation" observé dans sa mosquée, Jérôme Bossard louvoie. "La Syrie, c'est un sujet qui était sur toutes les lèvres, mais entre en parler et laisser sa famille et mourir là-bas, y a un fossé."

Et pourtant. "Sur 24 accusés devant la cour d'assises aujourd'hui, 13 ont fréquenté la mosquée. Vous ne vous sentez pas un début de responsabilité?", attaque l'avocat général.

"Je ne suis pas joyeux à l'idée de voir que des gens qui étaient devant moi sont morts, parfois d'une manière bizarre, comme le suicide", répond-il, en référence aux attaques kamikazes qu'auraient menées certains des accusés, comme Quentin Roy et Samba Camara.

Gérant d'un sandwicherie, Jérôme Bossard reconnaît n'avoir aucune qualification particulière, mais affirme tirer sa légitimité à la tête de la mosquée par "l'ancienneté" de sa conversion: il pouvait "aider" les jeunes, leur "expliquer les rites" et à l'occasion diriger la prière, qui regroupait jusqu'à 300 personnes le vendredi.

- "Les chiites, c'est les pires" -

Ces jeunes - "Quentin, Samba, Iliès, Sassim, Mehdi...", égrène-t-il -, il les connaît tous "de près ou de loin". Il a visiblement été impressionné par la "détermination de Quentin Roy", qui "s'instruisait", "c'était pas un suiveur, personne ne pouvait lui dire ce qu'il avait à faire".

L'avocat général veut en savoir plus sur l'enseignement dispensé à la mosquée, entre cours du soir et prêches. Avec une certaine complaisance, Jérôme Bossard détaille un copieux programme allant de l'étude des "noms" aux "attributs" (du prophète), en passant par "les sectes": "les chiites, c'est les pires. Ils prônent l'élimination des sunnites".

Le magistrat lui rétorque que le jihadisme vise l'élimination des chiites et "c'est précisément ce que les gens de votre mosquée ont fait". "Les chiites sont les ennemis des sunnites. C'est un fait", rétorque, impavide, le témoin.

A la barre, Habib Taïeb, qui officiera à la mosquée "après la période des départs", s'est aussi employé à minimiser son rôle. Il désigne Sofiane Nairy, éphémère imam à l'été 2014, comme ayant pu avoir une "influence" sur les jeunes.

Un ancien fidèle de la mosquée, Mohamed A. a décrit à la cour le fonctionnement vicié de ce lieu de culte: "la base (de l'enseignement) était fausse" et "c'est pour cela que j'ai arrêté d'y aller".

Mais, a-t-il ajouté, "faut pas penser que l'imam va parler de partir en Syrie devant tout le monde le vendredi. Si quelqu'un le fait, le lendemain il est arrêté, il faudrait être stupide".

Il évoque un effet de groupe, l'ambiance lourde, des jeunes désoeuvrés et "en empathie" pour les musulmans de Syrie. Et le discours efficace de Sofiane Nairy - présumé mort en Syrie - qui parlait ouvertement du "grand califat".

Sous le feu des critiques, la mosquée des Radars a fini par fermer puis a été murée début 2016. Depuis le déclenchement de l'état d'urgence, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, une trentaine de mosquées et de salles de prières "radicalisées" ont été fermées en France, quelques mois ou définitivement.

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