A Bercy, dans la fabrique de la dette française

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Par Angélina BOULESTEIX, Juliette RABAT - Paris (AFP)
Publié le 15 mai 2019 - 14:55
Mis à jour le 17 mai 2019 - 13:54
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Un agent de l'Agence France Trésor (AFT) à Bercy, le 13 mai 2019
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© ERIC PIERMONT / AFP
Un agent de l'Agence France Trésor (AFT) à Bercy, le 13 mai 2019
© ERIC PIERMONT / AFP

Au milieu d'une forêt d'écrans, la mission de la fabrique de la dette française, l'Agence France Trésor (AFT) à Bercy, consiste à emprunter des milliards d'euros pour que l'État ne soit jamais à court d'argent.

Les yeux rivés sur des tableaux de chiffres, en ligne avec la Banque de France, trois agents, la responsable des opérations de marché et le patron de l'AFT se concentrent. Pas question de se tromper d'un zéro quand il s'agit de milliards.

Nous sommes lundi, jour des emprunts à court terme.

Ils alimentent le "porte-monnaie de l'État", qui lui permet de faire face à ses besoins de financement et paiera notamment "les salaires en fin de mois", explique à l'AFP Anthony Requin, qui dirige l'AFT depuis mars 2015.

Cela représente 110 milliards sur les 1.800 de dette française gérés par son entité, également chargée de la trésorerie de l'État. Créée sous sa forme actuelle en 2001, elle compte 47 personnes.

L'opération d'emprunt avait commencé le jeudi précédent par des appels aux 15 banques engagées auprès de l'AFT à jouer les "grossistes", en souscrivant chaque fois l'intégralité de l'emprunt avant d'en céder tout ou partie à leurs clients, des banques centrales, assureurs, fonds de pension ou gestionnaires d'actifs.

Dans ce pool, les quatre poids lourds français, BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et Natixis, côtoient cinq géants européens, cinq nord-américains et un japonais.

Après cet échange, une fourchette d'emprunt est fixée avant l'étape-clé du lundi, où les établissements vont faire, anonymement, leurs offres.

A 14H30, elles affluent ainsi sur les écrans de l'AFT, qui compare en permanence les taux proposés à ceux du marché, pour assurer les meilleures conditions possibles à la France et donc aux contribuables. Puis, à 14H54, le couperet tombe. "On adjuge", assène M. Requin. En moins de cinq minutes, 4,5 milliards d'euros ont été levés.

Pour la dette à moyen et long terme, soit de deux à 50 ans, la même opération est conduite deux fois par mois.

 

- Le "défi vert" -

Un des opérateurs, qui "fête ses 25 ans" au service de la dette française, se remémore l'époque du "bureau A1", où "l'on se déplaçait directement à la Banque de France" et où les résultats étaient consignés "sur de grandes feuilles".

Géographiquement, la dette française appartient "pour des montants à peu près équivalents" à des entités françaises et non françaises, détaille M. Requin. Quant aux particuliers, il leur est difficile d'en acheter, sauf à insister auprès de leur banquier et à être prêts à affronter des taux négatifs.

"L'investisseur nous confie son argent comme s'il louait un coffre-fort" et ce sont les frais de cette location que reflètent les taux négatifs, explique M. Requin. Cela a permis à l'État des économies substantielles, mais "à tout prendre, je préfèrerais une économie plus dynamique", concède-t-il.

Cette situation est le fruit des injections massives d'argent par les banques centrales qui a fait passer le taux d'intérêt de la France de 4,8% à l'été 2008, au début de la crise financière, à 0,3% actuellement.

"C'est ce qui a permis au président français de faire un transfert de 20 milliards d'euros aux ménages, financés par le déficit public avec un coût pratiquement nul", souligne auprès de l'AFP Patrick Artus, économiste à Natixis.

Interrogé sur l'impact des "gilets jaunes", M. Requin admet qu'entre fin novembre et début décembre, il y a eu une petite répercussion. Mais la dette française, comme celle de l'Allemagne, joue traditionnellement "le rôle de valeur refuge" en période tendue.

Elle est "techniquement de bonne qualité" et "facile à échanger", confirme M. Artus, mais "la seule solution, si les taux d'intérêt remontaient considérablement, serait pour l'État français d'augmenter fortement la pression fiscale".

"La différence entre un particulier, une entreprise et l’État, c'est la durée de vie", souligne M. Requin. Et pour un État c'est la trajectoire d'endettement qui compte, et si "la trajectoire de la dette rapportée au PIB est sous contrôle, l’État peut en théorie se permettre de ne jamais rembourser sa dette", mais simplement de la refinancer continuellement, explique M. Requin, qui reconnaît néanmoins que la crise de la dette il y a dix ans reste son pire souvenir.

Et le meilleur? Le premier emprunt vert français en 2017, un "défi mémorable", quand "il fallait faire la preuve auprès du marché que le concept que nous avions imaginé six mois plus tôt allait marcher".

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