Ces ratonnades sanglantes que Marseille a préféré oublier

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Par Francois BECKER - Marseille (AFP)
Publié le 16 février 2018 - 11:17
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La foule accompagnant, le 16 décembre 1973, les dépouilles des Algériens victimes de l'attentat à la bombe contre le consulat d'Algérie à Marseille deux jours plus tôt.
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© STF / AFP/Archives
La foule accompagnant, le 16 décembre 1973, les dépouilles des Algériens victimes de l'attentat à la bombe contre le consulat d'Algérie à Marseille deux jours plus tôt.
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C'est une période que Marseille a préféré oublier : il y a 45 ans, une série de ratonnades meurtrières ensanglantent la ville, où persiste la nostalgie de l'Algérie Française. Chercheurs et militants tentent aujourd'hui de sortir ces faits de l'oubli.

"On vivait dans la terreur" : attablé à un café du Vieux-Port, Saïd Benmakhlouf, 80 ans, se souvient de 1973 avec émotion. "On avait des menaces tous les jours. Avant de rentrer chez moi, je faisais le tour cinq fois en voiture", poursuit le "chibani", immigré aujourd'hui à la retraite.

Responsable de l'Amicale des Algériens en Europe, il avait déploré cette année-là l'assassinat d'une quinzaine de compatriotes, rien qu'à Marseille. Tout commence fin août, par l'assassinat, en pleine journée, d'un traminot marseillais, tué à coups de couteau par un déséquilibré algérien. Dès le lendemain, l'opinion publique est chauffée à blanc.

"Assez de voleurs Algériens, de casseurs Algériens, de fanfarons Algériens, de proxénètes Algériens, de syphilitiques Algériens, de violeurs Algériens, de fous Algériens", clame un éditorial du Provençal. L'auteur, Gabriel Domenech, deviendra par la suite député Front National.

"C'était un appel assez clair aux expéditions punitives. Très vite, ça prend dans les consciences et très vite, on a un ou deux Arabes morts par jour", relate la sociologue Rachida Brahim.

- "Campagne de haine" -

La chercheuse a décompté 16 assassinats de nord-africains en 1973 dans la cité phocéenne, la plupart restés impunis. A l'époque, le caractère "raciste" n'est pris en compte ni par la loi, ni a fortiori par la police.

Un jeune de 16 ans, Ladj Lounef, tué de trois coups de feu dans les quartiers Nord, un père de quatre enfants agressé à la hache au bord d'une voie ferrée, un Algérien de 37 ans, Saïd Aounallah, fauché de trois balles de 22 long rifle à l'entrée de l'autoroute... Les violences culmineront avec un attentat à la bombe, le 14 décembre, au consulat d'Algérie: quatre morts et 18 blessés.

Une décennie après les accords d'Evian, sur fond de tension diplomatique extrême, "la guerre d'Algérie se rejoue un peu dans ces années-là", analyse Rachida Brahim. A l'époque, 40.000 Algériens logés dans des HLM en périphérie, côtoient environ 100.000 pieds-noirs rapatriés à Marseille.

Un "comité de défense des Marseillais", ouvertement raciste, est fondé, et M. Benmakhlouf verra ses compatriotes faire leurs valises, prêts à quitter la France en catastrophe. Rares sont ceux qui défendent les Algériens: une fraction de la gauche, dont des maoïstes, certains syndicats et une partie de l'Eglise...

- Question coloniale -

Début 2018, une association, Mémoire et réconciliation, a pris l'initiative d'apposer une plaque commémorant l'attentat du consulat. L'enjeu? "Que nul n'oublie cette part douloureuse de l'histoire de l'immigration algérienne", peut-on y lire.

Mais au-delà des proches des victimes, de l'ambassadeur et de quelques élus locaux, son inauguration n'a pas attiré les foules. "Le pire, c'était l'absence de l’État", regrette Fazia Hamiche, la présidente de l'association.

"Personne n'a de voix à gagner à parler de ces choses-là", constate Saïd Ben Makhlouf. "Ces crimes racistes, même les Algériens ne s'en souviennent pas", ajoute la sénatrice PS Samia Ghali, l'une des rares élues présente.

La mémoire de cette période "a souffert de l'effet de souffle de mai 1968 : les préoccupations sont celles de la révolution, du socialisme", analyse l'historien Benjamin Stora, interrogé par l'AFP: "La question coloniale semble alors archaïque, réglée par l'indépendance de l'Algérie".

A posteriori, l'année 1973 "apparaît comme un tournant, celui de la libération du racisme ordinaire", sur fond de crise économique, juge l'historien Yvan Gastaut, l'un des premiers à s'être intéressé à cette période.

Depuis cette époque, cette violence ressurgit "par éclipses" à Marseille, comme en 1995 avec l'assassinat d'Ibrahim Ali, 17 ans, par des colleurs d'affiches du FN. "La presse s'est désormais assagie", constate-t-il, mais la parole raciste se retrouve désormais facilement sur les réseaux sociaux.

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