Dans le Haut-Rhin, les pompes funèbres à l'épreuve du flot de décès

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Par Marie JULIEN - Strasbourg (AFP)
Publié le 03 avril 2020 - 09:41
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Un employé d'une entreprise de pompes funèbres regarde des cercueils entreposés, le 1er avril 2020 à Mulhouse (Haut-Rhin)
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© SEBASTIEN BOZON / AFP
Un employé d'une entreprise de pompes funèbres regarde des cercueils entreposés, le 1er avril 2020 à Mulhouse (Haut-Rhin)
© SEBASTIEN BOZON / AFP

Après 35 ans de métier dans les pompes funèbres, Christophe Lantz "pensait être bien endurci", mais "trop c'est trop", souffle ce gérant d'une entreprise de Mulhouse, submergée par la prise en charge des morts du coronavirus.

"On court du matin au soir, on travaille à un rythme effréné", explique par téléphone Christophe Lantz, également président de la corporation des métiers du funéraire du Haut-Rhin, alors que derrière sa ligne fixe n'arrête pas de sonner.

Son entreprise de pompes funèbres, qui emploie cinquante personnes, a pris en charge son premier défunt du Covid-19 le 13 mars. Deux semaines plus tard, ils s'étaient occupés de 178 décès, contre 60 environ "en temps normal".

Le nombre de défunts pris en charge a aussi plus que triplé chez les pompes funèbres Kittler, à Lutterbach, et a été "multiplié par deux" aux pompes funèbres Schaub à Wittelsheim, au nord-ouest de Mulhouse.

Un des principaux foyers de l'épidémie après un vaste rassemblement évangélique dont les participants ont ensuite involontairement diffusé la maladie, le Haut-Rhin a le triste record de 411 décès liés au coronavirus en mars, selon les données de l'Agence régionale de santé (ARS) Grand Est.

Pompes funèbres, mais aussi marbriers, fossoyeurs, employés de mairie délivrant les certificats de décès, employés des crématoriums, fabricants de cercueils... toute la chaîne de prise en charge des défunts fait face à une activité sans précédent.

- Deuil compliqué -

"Une crise comme ça, on n'en a jamais connu", souffle Véronique Kittler, conseillère funéraire depuis vingt ans.

Les entreprises de pompes funèbres doivent retirer les corps des personnes décédées du coronavirus le plus vite possible. "A partir du moment où on a pris le corps en charge, on ferme le cercueil sur le lieu du décès et ce cercueil ne sera plus du tout ouvert", explique Mme Kittler.

Donc plus de toilette mortuaire, ni de soins de conservation du corps, ni de présentation dans un funérarium. Et des cérémonies d'inhumation a minima directement au cimetière.

"Avant, on recevait les familles, on discutait avec eux et on intervenait après. Maintenant on leur dit de choisir tout de suite un cercueil, on fait la mise en bière et ensuite on commence à discuter, par téléphone pour l'essentiel", une seule personne étant reçue au bureau, explique Christophe Lantz.

Beaucoup n'avaient pas vu leur proche depuis son hospitalisation ou son confinement en maison de retraite et n'auront pas non plus l'occasion de lui dire adieu après son décès.

Si la plupart des familles "comprennent la situation", leur deuil "va vraiment être compliqué", considère Christophe Lantz.

Quatrième génération de sa famille à s'occuper des pompes funèbres Schaub, Wendy Fluhr souligne "le désespoir des gens parce qu'ils n'ont pas de dernier adieu, qu'ils ne peuvent plus toucher le cercueil, ne peuvent plus rendre les hommages qu'ils auraient souhaités".

Comme les crématoriums sont désormais fermés aux familles, elle propose une petite cérémonie au cimetière, même en cas de crémation, "pour qu'ils aient un adieu quand même". "Cela les aidera pour plus tard, plutôt que de se retrouver dans trois ou quatre mois avec l'urne", pense-t-elle.

- Tabliers de vêlage -

Véronique Kittler, elle, propose de "faire une photo du cercueil fermé avec la plaque d'identité puisque pour certaines familles, c'est la seule image qu'ils vont avoir", et communique l'heure prévue de la crémation pour que les familles puissent se recueillir chez elles à ce moment-là.

Comme tous les professionnels au contact de malades du Covid-19, les entreprises de pompes funèbres peinent à se fournir en matériels de protection. Elles ont le sentiment d'être "complètement oubliées" par les autorités, qui leur ont seulement fourni des masques chirurgicaux, malgré le risque de contamination au moment de déplacer les corps.

"Chacun doit essayer de se débrouiller par ses propres moyens", relève Véronique Kittler, à qui des amis vétérinaires ont fourni des blouses de protection. Ils envisagent désormais de lui donner des tabliers de vêlage jetables.

Wendy Fluhr a pu compter sur des dons de gants et de combinaisons de la part d'entreprises.

"Ceux qui font les mises en bière et les interventions sur place sont inquiets au quotidien. Si je leur dis demain qu'il n'y a plus de masques, clairement ils ne viendront plus bosser", craint Christophe Lantz.

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