Dans le Val-d'Oise, un jeu de rôles pour réconcilier le couple police-justice

Auteur:
 
Par Sarah BRETHES - Pontoise (France) (AFP)
Publié le 31 mai 2018 - 13:42
Image
Réconcilier le couple police-justice, une initiative dans le Val-d'Oise
Crédits
© DAMIEN MEYER / AFP/Archives
Réconcilier le couple police-justice, une initiative dans le Val-d'Oise
© DAMIEN MEYER / AFP/Archives

Installer un policier dans le fauteuil d'un juge et faire patrouiller des magistrats au pied des cités: c'est l'idée lancée dans le Val-d'Oise pour réconcilier le couple police-justice, ébranlé par l'attaque au cocktail Molotov contre des fonctionnaires de l'Essonne, en 2016.

8 octobre 2016, Viry-Châtillon. Une voiture stationnée en lisière de la cité de la Grande Borne est visée par des engins incendiaires. Quatre policiers sont blessés, dont deux grièvement brûlés. Dix jours plus tard, plusieurs centaines de leurs collègues bloquent les Champs-Elysées, début d'un mouvement de contestation inédit qui durera des mois.

Pour Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal de grande instance de Pontoise, le point de rupture est atteint le jour où des policiers se rendent en nombre devant les palais de justice pour dénoncer le "laxisme" des magistrats, coupables à leur yeux de relâcher les jeunes délinquants de banlieue qu'ils s'escriment à arrêter.

"Alors que dans les années 1980, les deux institutions travaillaient main dans la main avec une certaine évidence, les juges sont peu à peu devenus les ennemis", analyse cette fille de policier qui a "grandi dans les commissariats".

Un matin d'octobre 2016, elle appelle la cheffe de la police du Val-d'Oise de l'époque, Pascale Regnaut-Dubois. Ensemble, les deux femmes décident de faire "quelque chose d'humble, de simple, sans demander l'autorisation à personne": une journée d'échanges "assez houleux" à chaud à l'hôtel de police d'abord.

Puis des "stages", proposés aux policiers comme aux magistrats, afin de déconstruire les "stéréotypes" et les "anathèmes réciproques".

La présidente elle-même part patrouiller avec la brigade anticriminalité (BAC) aux pieds des tours, à Sarcelles. "On a fini à 4H du matin au MacDo, où on a continué à discuter", sourit la magistrate.

- "Sentiment d'impunité" -

En moins d'un an et demi, "entre 120 et 140 policiers" sont passés pour ces "stages" au tribunal, soit 10% des effectifs, s'est félicité en avril Frédéric Lauze, directeur départemental de la sécurité publique du Val-d'Oise, qui compare la relation police-justice à "un vieux couple aux relations tumultueuses, mais qui ne peut pas divorcer".

Dans les salles feutrées du tribunal ou les cabinets des juges des enfants, d'ordinaire très fermés, les policiers assis au côté des magistrats, parfois accusés de mépris envers leur profession, sont souvent étonnés par ce qu'ils découvrent.

"J'ai été particulièrement surpris par le discours pro-police" des magistrats, qui "savent rester lucides malgré la victimisation et les tentatives de séduction", témoigne ainsi Sébastien, du commissariat d'Enghien-le-Bains.

Quant aux décisions rendues: "Contrairement aux idées reçues, elles ont été plutôt sévères", reconnaît le fonctionnaire.

"Population carcérale trop importante, vice de forme dans les procédures, surcharge de travail"... Ce jeu de rôles a permis à Christophe, brigadier chef, "de comprendre pourquoi les sanctions n'étaient pas systématiquement prononcées".

Reste toutefois un "gros sentiment d'impunité chez les délinquants", déplore le policier. "Ils n'ont plus peur ni de la police, ni de la justice, ni de la prison qu'ils voient comme un club de vacances", juge-t-il.

"Les jeunes policiers se retrouvent face à des jeunes désinhibés, de plus en plus violents, qui n'ont plus peur de la police : l'année dernière, nous avons eu 218 blessés" parmi les fonctionnaires du département, a souligné Frédéric Lauze lors d'une rencontre organisée par l'INESHJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice).

"La poudrière n'est pas loin", a abondé à cette occasion le procureur de Pontoise, Eric Corbaux, évoquant "des violences urbaines de plus en plus fréquentes". Autre tendance pointée du doigt par le magistrat : "Les interpellations avec rébellion se doublent désormais presque toutes d'une plainte pour violences policières." Et les policiers sont ainsi de plus en plus nombreux à faire l'objet d'enquêtes judiciaires.

Au début de l'année, la colère de la profession a été relancée par l'agression filmée, et largement diffusée sur les réseaux sociaux, de deux fonctionnaires à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), la nuit de la Saint-Sylvestre. "Les réponses pénales ne sont pas à la hauteur. S'ils s'en prennent aux policiers c'est qu'ils savent qu'ils ne risquent rien", avait alors dénoncé Patrice Ribeiro, du syndicat Synergies-Officier.

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.