Dans l'Est, la désillusion d'anciens "gilets jaunes"

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Par François D'ASTIER - Strasbourg (AFP)
Publié le 16 janvier 2019 - 11:33
Mis à jour le 17 janvier 2019 - 00:20
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Un "gilet jaune" face à un gendarme à Strasbourg, lors d'une manifestation le 12 janvier 2019
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© PATRICK HERTZOG / AFP
Un "gilet jaune" face à un gendarme à Strasbourg, lors d'une manifestation le 12 janvier 2019
© PATRICK HERTZOG / AFP

"Les ronds-points, j'en ai fait le tour": leaders frustrés, manifestants désabusés, ils ont participé à l'essor du mouvement des "gilets jaunes" dans l'Est de la France avant de prendre leurs distances, parfois sous les insultes et les menaces.

"Heureusement qu'on n'est pas en 1793, parce que je serais passé à l'échafaud", raconte Fabrice Schlegel, 45 ans, promoteur immobilier à Dole (Jura).

Ce père de trois enfants a rangé son gilet le 22 décembre en l'annonçant sur Facebook, d'où il avait organisé la contestation un mois plus tôt.

"Je me suis trompé sur la tournure du mouvement, sur les valeurs que je voulais apporter: respect, solidarité, tolérance... Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans la haine, l'irrespect et la division", a-t-il écrit.

Il a continué à administrer le groupe Facebook de 33.000 membres qui servait à organiser des barrages filtrants, mais il a arrêté de manifester.

"Le mode d'action ne me convient plus. Les ronds-points, j'en ai fait le tour", explique-t-il à l'AFP. Débutée le 2 novembre avec une opération escargot le long du Doubs, son "aventure" a tourné court: la faute à un "manque de stratégie évident".

"On n'a jamais réussi à se structurer, c'était impossible. On a parlé politique pendant un mois et demi autour des ronds-points, mais le mot en lui-même était tabou", constate-t-il. "Dès qu'il y avait une réunion pour fédérer le département, il y avait des reproches sur le manque de légitimité".

Candidat malheureux (DVD) aux élections départementales de 2015, il a rapidement été pris pour cible par des "gilets jaunes" qui l'ont accusé d'entretenir des ambitions politiques.

"Ce n'est pas le cas pour l'instant", se défend l'intéressé, "libéral assumé". Les insultes ont fleuri en ligne. "J'ai reçu des lettres anonymes, des menaces de mort", affirme Fabrice Schlegel.

"Fier des actions accomplies", il s'apprête désormais à suivre à distance le grand débat, sans trop y croire: "Est-ce que la lumière va jaillir de ce dialogue-là ? j’en doute..."

À Colmar (Haut-Rhin), Jean, 69 ans, a quitté les "gilets jaunes" en décembre. Cet ancien géomètre à la retraite, engagé dès le début, s'était reconnu dans les revendications sur "le prix du carburant et le pouvoir d'achat".

La "récupération politique" et "l'infiltration des syndicats" l'ont poussé à retirer son gilet, choqué par "la montée de la violence" et les "exactions" lors des manifestations parisiennes.

Il regrette "le manque d'unité" au sein d'un mouvement citoyen qui a "perdu son esprit bon enfant et sa spontanéité".

- "J'y ai laissé des plumes" -

Franck, 53 ans, a alimenté jusqu'à trois groupes Facebook de gilets jaunes en même temps à Strasbourg: "J'y suis allé à fond, je pouvais y consacrer douze heures par jour".

La réalité économique a rattrapé ce commercial indépendant: "En janvier, il fallait que je retourne bosser. Sinon, mon business était condamné...".

À Vesoul (Haute-Saône), Céline Roy, 22 ans, porte-parole du mouvement pendant des semaines, a aussi arrêté les frais, en sortant du tribunal, le 11 décembre.

Condamnée à deux mois avec sursis pour entrave à la circulation à la suite du blocage d'un train SNCF, elle a annoncé qu'elle "ne mettrai(t) plus les pieds sur un rond-point".

"J'étais mobilisée de 8 heures à 19 heures (...) j'ai arrêté de bosser", raconte cette ancienne commerciale et mère de famille: "J'y ai laissé des plumes".

Malgré "les rencontres fabuleuses", la désillusion est vive: "Les gens n'ont pas compris pourquoi je n'allais plus sur les ronds-points, je risquais la récidive. J'en prenais plein la tête".

"J'ai donné une interview et raconté qu'on m'avait proposé une place en politique. Sur les réseaux sociaux, on m'a dit que j'étais une corrompue", dit-elle, affirmant avoir reçu de nombreuses menaces.

"Je pensais faire avancer la chose avec le dialogue... Maintenant qu'on casse tout, surtout pour tout repayer après, c'était pas dans mes objectifs, ça c'est clair", dit-elle, désabusée et annonçant son intention de rejoindre La France Insoumise.

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