De la prison au tribunal : les extractions judiciaires, une mission sensible à la pénitentiaire

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Par Caroline TAIX - Meaux (AFP)
Publié le 31 octobre 2019 - 11:07
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Judas d'une porte de cellule de la prison de Meaux en 2017
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© ALAIN JOCARD / AFP
Judas d'une porte de cellule de la prison de Meaux en 2017
© ALAIN JOCARD / AFP

C'est le seul moment où un détenu est sur la voie publique, sur la route entre la prison et le tribunal: à chaque extraction judiciaire, les agents Stéphane, David et Mickaël suivent un rituel précis et gardent à l'esprit qu'une attaque peut survenir à tout moment.

Le prisonnier, en détention provisoire à Meaux-Chauconin depuis mai pour une tentative de meurtre, doit être à 10H00 au tribunal de Bobigny pour être présenté à un juge d'instruction et l'AFP a pu suivre son extraction judiciaire.

Deux heures plus tôt, les trois agents se préparent, lisent l'ordre de mission, qui présente le détenu, son profil, ses antécédents. Ils s'équipent à l'armurerie: arme de poing avec deux chargeurs, une gazeuse, un bâton de protection télescopique, gilet pare-balle. Pour le détenu, ils sortent menottes et chaîne de conduite, pour le tenir au plus près.

Le fourgon a déjà été vérifié: tomber en panne lors d'une extraction judiciaire n'est pas une option. Sur cette mission, Stéphane sera chef d'escorte, Mickaël agent d'escorte et David conduira, des rôles qui tournent à chaque sortie. Etant armés, contrairement à leurs collègues surveillants, ils ne peuvent pas entrer en détention.

Quand le détenu leur est amené, ils vérifient son identité, le fouillent intégralement, lui proposent d'aller aux toilettes. "Le but, c'est de ne pas s'arrêter, même pas pour une pause pipi", explique Stéphane. Avec le gyrophare allumé, la plupart des voitures facilitent le passage du fourgon siglé "administration pénitentiaire". Il faudra bien moins d'une heure pour aller de Meaux à Bobigny.

"Ca va être rapide avec le juge. Je refuse toutes mes auditions", dit à Mickaël le détenu assis derrière une grille dans le fourgon. "Vous faites comme vous voulez mais ce n'est pas dans votre intérêt", tente l'agent.

"99% du temps, ça se passe bien avec les détenus. On les connait, on sait comment les prendre. Le maître-mot, c'est la patience: on a ce savoir-faire là", commente David. "On est dans l'humain. Quelqu'un qui vient d'être condamné à 30 ans de réclusion a besoin de parler, d'être rassuré", poursuit-il.

"Régulièrement, sur le chemin du retour, les détenus nous racontent leur audience et aiment se confier. Certains se vantent d'avoir menti au juge", ajoute Stéphane.

- Des cibles -

Le principal danger pour les escortes judiciaires vient de l'extérieur. Les trois agents sont encore choqués par l'attaque qui a visé leurs collègues en janvier à Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône: un commando armé a tiré sur le fourgon permettant l'évasion d'un détenu.

"Un jour ou l'autre, on sera attaqué. On le sait", dit Mickaël. "Nous sommes vulnérables. Nous n'avons pas les murs (de la prison) pour nous protéger", dit-il encore.

Stéphane, lui, se souvient d'une extraction pour une reconstitution de nuit dans une cité de Seine-Saint-Denis après un meurtre. "Nous transportions le détenu en voiture banalisée; il y avait plus de six fourgons de CRS pour sécuriser le périmètre. On craignait des représailles contre le détenu, des jets de projectiles des fenêtres". La nuit s'est bien terminée.

"Nous sommes conscients que nous sommes des cibles", résume Elodie Recouvrot, la responsable du Pôle de rattachement des extractions judiciaires de Meaux. En février, à Paris, un fourgon pénitentiaire avait été visé par des "gilets jaunes".

Pour les détenus particulièrement signalés ou encore ceux poursuivis pour des faits de terrorisme, les escortes sont renforcées. Dans les situations les plus dangereuses, le GIGN ou le Raid peuvent intervenir.

Ce métier, agent chargé des extractions judiciaires, est relativement nouveau dans la pénitentiaire. Jusqu'en 2010, cette mission revenait aux policiers et aux gendarmes. Le passage de relais, progressif, s'achève lundi.

Ils reçoivent une formation de cinq semaines, avec notamment du tir et de la conduite. "Ca permet de sortir des coursives, d'éviter de gérer 100 détenus. Mais les horaires sont décalés: on sait quand la journée commence, jamais quand elle termine car cela dépend notamment de la fin des audiences", explique Elodie Recouvrot.

Après avoir déposé le détenu à Bobigny, Stéphane, David et Mickaël - qui ont demandé à rester anonyme - repartent à Meaux. Ils auront probablement une autre mission dans la journée en Ile-de-France, en attendant de ramener le prisonnier à Meaux, à une heure indéterminée.

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