Défendre, malgré tout : les expériences "lunaires" des avocats mobilisés

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Par Juliette MONTESSE et Guillaume DAUDIN - Paris (AFP)
Publié le 20 mars 2020 - 11:48
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Alors que la justice d'urgence suit son cours tant bien que mal pendant la pandémie de coronavirus, des avocats racontent à l'AFP l'exercice tantôt "halluciné", tantôt inquiet de leur rôle de "vigies
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives
Alors que la justice d'urgence suit son cours tant bien que mal pendant la pandémie de coronavirus, des avocats racontent à l'AFP l'exercice tantôt "halluciné", tantôt inquiet de l
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Ils ont un même mot à la bouche: "lunaire". Alors que la justice d'urgence suit son cours tant bien que mal pendant la pandémie de coronavirus, des avocats racontent à l'AFP l'exercice tantôt "halluciné", tantôt inquiet de leur rôle de "vigies de la démocratie".

"J'ai plaidé avec un masque, pour ne pas exposer la cour", raconte Philippe Ohayon. Dans la "minuscule" salle de la cour d'appel de Paris où chacun vient armé de sa parole, "j'avais l'impression d'être dans un endroit où pouvait flotter le virus", décrit-il.

L'avocat demandait mercredi à la chambre des extraditions la mise en liberté d'un client de 54 ans détenu à la prison de Fresnes, dont un détenu est décédé du coronavirus et trois personnels sont malades.

"Les seuls bénéficiant d'un masque étaient les détenus de Fresnes", raconte-t-il. Difficile de tenir les distances de sécurité entre policiers, détenus et interprètes.

"J'aurais préféré que les audiences puissent se faire en visioconférence, mais c'est compliqué", convient Philippe Ohayon. Il salue cependant "le sens de la fonction" des juges, des policiers: "C'était une belle audience, paradoxalement".

La justice a restreint ses activités aux "contentieux essentiels" et, parmi les rares audiences, les comparutions immédiates se poursuivent.

Mardi, à Paris, le tribunal a examiné plusieurs affaires mais les dossiers du jour ont été renvoyés à fin avril pour raisons sanitaires, racontent deux avocates.

"Avant l'arrivée du tribunal, il y avait quatre prévenus dans le box, l'un d'eux a dit +Il faut un mètre entre nous !+, mais le policier derrière lui a répondu +Vous êtes dans la même cellule de toute façon+", décrit Sanahin Basmadjian. Ils s'assoient finalement à bonne distance.

Dans son affaire, qualifiée de vol de portable avec violence, les prévenus en situation irrégulière ont été placés en détention provisoire.

"C'est prendre un risque en prison, puisqu'ils ont passé 48 heures en garde à vue et ensuite au dépôt", estime l'avocate.

Comme elle, sa consoeur Camille Vannier dénonce l'orientation "incompréhensible" par le parquet de certaines affaires vers ces audiences de "flagrants délits" dénoncées comme une justice d'abattage par nombre d'avocats.

Interrogé par l'AFP sur l'impact de l'épidémie, le parquet de Paris évoque une "réduction importante du nombre de dossiers nouveaux orientés en comparution immédiate": sont conservés les dossiers où il "estime une mesure de sûreté nécessaire". Le parquet reste "attentif à apporter une réponse ferme aux infractions les plus graves", notamment à celles en lien avec la pandémie: trafic de masques, risque accru de violences intrafamiliales, etc.

- "Il avait peur" -

Camille Vannier décrit son "cas d'école", "hallucinant", celui d'un Belge interpellé samedi en marge de la manifestation des "gilets jaunes".

Ce militant écologiste est poursuivi pour des violences envers les forces de l'ordre, qu'il conteste. Après une garde à vue "en cellule collective, avec un homme qui présentait des signes inquiétants", il arrive au tribunal mardi: "Il toussait, donc il a été confiné avec d'autres cas suspects".

Libéré dans l'attente de son procès, mais frappé par ailleurs d'une obligation de quitter le territoire, il a été emmené... en centre de rétention, "en chambres collectives" malgré son état de santé selon son autre avocate, Norma Jullien Cravotta. Jeudi, un juge a finalement ordonné sa libération du centre.

Partout, les avocats décrivent la difficulté à respecter les "gestes barrière", en prison, en garde à vue...

Le bâtonnier de Paris a suspendu les désignations pour la défense d'urgence dans l'attente d'une validation sanitaire des audiences et gardes à vue par les autorités.

Une décision saluée par certains, raillée par d'autres: "Nous sommes les vigies de la démocratie, notre responsabilité est d'être sur le terrain", lâche l'avocat Samah Ben Attia.

Le client de Philippe Ohayon détenu à Fresnes a été libéré. L'avocat ignore dans quelle mesure le risque sanitaire a joué. "Il avait peur. Il m'a appelé ce matin. Il m'a dit +Vous m'avez sauvé la vie+".

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