Deux misères face à face dans les quartiers Nord de Marseille

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Par Estelle EMONET - Marseille (AFP)
Publié le 25 janvier 2018 - 12:59
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Devant une barre de la cité des Kalliste, dans le 15e arrondissement de Marseille
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© BORIS HORVAT / AFP
Devant une barre de la cité des Kalliste, dans le 15e arrondissement de Marseille
© BORIS HORVAT / AFP

"Libérez-nous de cette prison !", implore Houda, locataire dans un immeuble insalubre des quartiers Nord de Marseille investi depuis cet été par plus d'une centaine de migrants en errance. Une cohabitation explosive qui "empire" dans une quasi-indifférence, estiment les habitants.

Devant la barre H de la cité des Kalliste (15e arrondissement), la misère s’étale au grand jour. Des migrants font leur lessive dehors grâce à une canalisation d'eau détournée, des déchets s'amoncellent, des câbles électriques pendent le long de la façade, des prostituées attendent le client devant la cage d'escalier, des trafiquants de drogue guettent...

"On n'en peut plus, la situation ne fait qu'empirer, mais tout le monde se renvoie la balle", confie Houda, une coquette jeune femme de 22 ans étudiante en BTS, qui a "l'impression d'être abandonnée". Les cinq membres de sa famille vivent dans un appartement vétuste, suintant d'humidité.

Depuis 2011, le bâtiment, décrépi, est promis à la démolition dans le cadre d'un programme de rénovation urbaine de la mairie. Le bailleur social, Marseille Habitat, dont la ville est le principal actionnaire, a acquis un à un les appartements de cette co-propriété privée, mais 15% des propriétaires refusent de vendre au prix proposé, a expliqué l'adjointe au logement du maire de Marseille, Arlette Fructus (LR), vice-présidente de Marseille Habitat.

"Mes parents ont acheté près de 200.000 euros leur T5 et la mairie leur propose 30.000 euros !", s'exclame Hamid Benyhia qui s'occupe de sa mère depuis que son père de 85 ans est hospitalisé à la suite d'une chute dans l'escalier plongé dans le noir par une énième coupure d'électricité.

Treize familles, locataires ou propriétaires, cohabitent dans un climat explosif avec des migrants dirigés depuis cet été pour certains par des marchands de sommeil dans les appartements vides, acquis par le bailleur social. La mairie a recensé 141 occupants illégaux dans 39 logements, mais ils pourraient être plus nombreux, tous les appartements n'ayant pu être visités, reconnaît Mme Fructus.

"On ne sait pas où aller, on arrive au moins à se coucher un peu ici. C'est un ami qui a eu pitié de moi qui m'a indiqué l'endroit", raconte un jeune migrant ivoirien qui dormait auparavant à la gare Saint-Charles. "On ne peut pas se payer un logement, on attend d'avoir des papiers", poursuit l'homme, arrivé il y a quatre mois en France.

- 'Partir de cet enfer'-

Le week-end dernier, une rixe au couteau entre migrants a éclaté. Sur place, les pompiers ont relevé les risques d'incendies en raison des branchements sauvages sur les compteurs.

Pour Roger Ruze, maire d'arrondissement qui a succédé à la sénatrice socialiste Samia Ghali, atteinte par la loi sur le cumul des mandats, l'état des lieux était déjà "catastrophique" en 2011, mais Marseille Habitat "n'a rien fait pour les sécuriser" et la mairie a "laissé la situation se détériorer".

Les appartements vides n'ont pas tous été murés et le premier étage n'a pas été détruit pour empêcher les squats, comme l'avait préconisé la Direction départementale des territoires et de la mer, souligne l'élu.

"C'est affreux ! La nuit, ils cassent des murs pour entrer dans les appartements, se branchent sur notre compteur électrique et nous menacent", s'exaspère Houda. A Noël, les habitants sont restés pendant deux semaines dans le noir. Enedis est intervenu une vingtaine de fois en trois semaines, mais aussitôt résolu, le problème resurgit, souligne la mairie.

La mère de Houda, inquiète pour sa fille cadette, a refusé que celle-ci continue de travailler comme vendeuse et rentre tard. "Dès que la nuit tombe, on ne sort plus et on fait en sorte qu'il y ait tout le temps quelqu'un dans l'appartement pour éviter qu'on le squatte", raconte Houda.

"Partir de cet enfer, c'est tout ce qu'on veut. Mais comment faire ? Ma mère, malade, n'a pas de bulletin de salaire et personne ne voudra nous louer un appartement", dit-elle.

Jeudi soir, la mairie de Marseille a annoncé, dans un communiqué, avoir pris un arrêté de "mise en sécurité des parties communes du bâtiment H", un expert, missionné par le tribunal administratif à la demande de la Ville, ayant conclu à la "nécessité (...) de procéder à l'évacuation de l'immeuble". Marseille Habitat s'est engagé à "reloger, dans les meilleures conditions, toutes les personnes évacuées".

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