Deux villes, une usine d'alumine et un dilemme entre environnement et emploi

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Par Estelle EMONET - Gardanne (France) (AFP)
Publié le 02 octobre 2020 - 09:58
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Salariés à l'usine Alteo de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône le 4 septembre 2020
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© NICOLAS TUCAT / AFP/Archives
Salariés à l'usine Alteo de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône le 4 septembre 2020
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Fleuron de l'industrie, Alteo, leader mondial de l'alumine a du plomb dans l'aile. En difficulté financière, l'usine près de Marseille et ses quelque 500 salariés font face à la fronde d'habitants excédés "par les pollutions".

Avec ses kilomètres de tuyaux, ses hautes cuves et ses cheminées, l'usine trône à l'entrée de la ville de Gardanne (Bouches-du-Rhône) dont les rues sont couvertes de poussière rouge ocre, mais stocke ses déchets sur une commune voisine.

Dans ses entrailles, Alteo broie et transforme chaque année plus d'un million de tonne de bauxite rouge importée principalement de Guinée pour fabriquer de l'alumine blanche utilisée dans l'armement, l'industrie automobile ou la fabrication des téléphones portables.

Aux mains du groupe français Péchiney jusqu'en 2003, la plus ancienne usine du monde d'alumine, créée en 1894, est désormais détenue par le fonds d'investissement américain HIG.

"Péchiney c'était le paternalisme: on était logé, on avait le droit au médecin, aux colonies de vacances", se rappelle la fille d'un des nombreux immigrés italiens venus y travailler. Aujourd'hui, Aline Frosini critique pourtant l'un des plus gros employeurs de la zone avec ses 500 salariés et 400 emplois indirects.

L'activité de l'usine, régulièrement épinglée par les associations environnementales, ne peut "plus durer", estime celle dont le père ouvrier est mort d'un cancer.

Mais à Gardanne, déjà "traumatisée" par la fermeture des mines à charbon où travaillaient encore 475 "gueules noires" en 2003, les difficultés financières d'Alteo, à la recherche d'un repreneur ou d'un partenaire depuis son placement en redressement judiciaire fin 2019, inquiètent population et pouvoirs publics.

- "Où on va travailler?" -

"L'emploi est plus important que l'environnement", estime Robert Giannini ouvrier pendant 40 ans chez Alteo. "On est 66 millions d'habitants en France et on ne veut plus d'usine, alors où on va travailler?", s'interroge le septuagénaire.

Jusqu'à ce qu'un arrêté préfectoral la somme, fin 2015, sous la pression des associations écologistes, de cesser de déverser le rebut de bauxite dans les calanques de Marseille et Cassis, l'usine a rejeté en 50 ans au moins 20 millions de tonnes de boues rouges chargées d'arsenic et de cadmium dans la Méditerranée.

"C'est du passé, des efforts colossaux ont été faits par l'entreprise", souligne le nouveau maire LR en référence aux nouveaux procédés de traitement de ces déchets liquides.

Comme l'ancienne majorité communiste à la tête de Gardanne pendant 43 ans, l'élu encouragé par les syndicats de l'usine (CGT, FO, CFE-CGC) "souhaite avant tout préserver l'emploi" et relève qu'"aucune étude n'a démontré" que l'activité de l'entreprise affectait la santé des habitants.

En 2016, l'agence sanitaire Anses relevait néanmoins qu'après le traitement imposé des boues rouges "le futur rejet constituera toujours une source de contamination".

Pour les défenseurs de l'environnement, la pollution n'a été que déplacée de la mer à la terre et elle exaspère le maire de la commune voisine de Bouc-Bel-Air.

Si en septembre l'entreprise a inauguré une station de traitement de ses "effluents liquides" rejetés en mer, elle a dans le même temps augmenté le stockage des résidus solides extraits de cette eau, dans d'immenses terrains creusés en plein air au lieu dit de Mange-Garri, à Bouc-Bel-Air.

- Centaines de milliers de tonnes -

A l'abri des regards, au sommet d'une colline boisée, 300.000 tonnes de terre rouge, la bauxaline, s'accumulent chaque année, a indiqué la mairie à l'AFP.

En avril 2018, le nuage de poussière rouge qui recouvre la ville, attisé par un coup de mistral, révèle l'ampleur du site de stockage, équivalant au total à 50 terrains de football, et suscite de nouvelles interrogations.

"Les résidus de bauxite sont non-dangereux selon la réglementation", assure Frédéric Ramé, président d'Alteo holding. "De nombreux dispositifs" comme l'arrosage ont été mis en place pour "contrôler complètement l'envol de poussière", a détaillé le dirigeant lors de l'inauguration de la station d'épuration.

"Les études environnementales sont biaisées car les prélèvements sont réalisés par Alteo ou alors concluent qu'il faut aller plus loin pour établir un rapport de nocivité sur l'environnement", accuse Aline Frosini. L'Anses a relevé en 2017 que les études autour du site de Mange-Garri ne permettaient pas "d'exclure un risque sanitaire au niveau local".

"Qu'on arrête de nous dire qu'il y a rien dans ces poussières. Les résidus toxiques qui étaient rejetés en mer sont bien passés quelque part", s'agace le maire LR de Bouc-Bel-Air Richard Mallié. Il dit "ne plus faire confiance à l'entreprise" qui depuis 20 ans "essaye de gagner du temps".

L'édile a déposé plainte contre l'entreprise et ses rejets comme une poignée d'habitants pour "mise en danger de la vie d'autrui" qui a conduit en mars 2019 à l'ouverture d'une information judiciaire. Depuis, il demande en vain un bilan hydrique, inquiet comme des organisations environnementales, des risques de pollution des eaux de ruissellement sur les nappes phréatiques.

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