D'ordinaire invisibles, les métiers "féminins" en "première ligne" face au coronavirus

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Par Jessica LOPEZ - Paris (AFP)
Publié le 27 avril 2020 - 11:19
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Des caissières portent des masques et des gants de protection contre le coronavirus dans un supermarché à Givors, le 15 avril 2020 près de Lyon
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© JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP/Archives
Des caissières portent des masques et des gants de protection contre le coronavirus dans un supermarché à Givors, le 15 avril 2020 près de Lyon
© JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP/Archives

Infirmières, aides-soignantes, assistantes maternelles, femmes de ménage, caissières: la crise liée au coronavirus a rendu visibles les millions de femmes qui "nourrissent et soignent" au quotidien, jetant une lumière crue sur les inégalités de genre persistantes dans le monde du travail.

L'épidémie, qui a mis à l'arrêt les usines et confiné une bonne partie de la population depuis mi-mars, a propulsé au-devant de la scène les professions de la santé, du soin et de la distribution, à majorité féminines, applaudies chaque soir aux fenêtres.

"Aujourd'hui, les femmes sont en première ligne. Elles forment les gros bataillons des métiers du care et de la vente", déclare à l'AFP la sociologue Dominique Méda.

Mais la chercheuse soulève un paradoxe: ces métiers, qui font courir des risques à celles qui les occupent, sont "sous rémunérés alors même qu'ils s'avèrent les plus utiles".

Après de longues années d'inégal accès à l'emploi, les femmes ont aujourd'hui un taux d'activité s'approchant de celui des hommes (68,2% contre 75,8%). Mais la répartition des emplois par catégorie socioprofessionnelle reste divisée, avec des femmes surreprésentées dans les professions intermédiaires, employés qualifiés, et non qualifiés.

Dans la fonction publique hospitalière, où plus de trois agents sur quatre sont des femmes, elles représentent 50% du personnel médical (docteurs) et 80% du personnel soignant (infirmières, aides-soignantes).

Sur plus de 650.000 infirmières et sages-femmes, première profession médicale devant les médecins, neuf sur dix sont des femmes.

Dans le secteur du soin (care, en anglais), les femmes sont en écrasante majorité: 91% des 600.000 aides-soignantes, 97% des 400.000 aides à domicile et aides ménagères, et 99% des 450.000 assistantes maternelles qui gardent des enfants.

Dans la distribution, sur les 350.000 hôtesses et hôtes de caisses, 80% sont des femmes. Dans l'entretien et le ménage, sur plus d'un million d'employés, 70% sont des femmes.

Pour la philosophe Camille Froidevaux-Metterie, la crise engendrée par le coronavirus a permis de "prendre conscience que les tâches absolument indispensables à la vie même de notre société sont majoritairement accomplies par les femmes".

- Se salir les mains pour les autres -

"On s'est rendu compte qu'on pouvait survivre sans +beauty-box+ ou +apéro-box+, mais pas sans celles qui nous nourrissent, nous soignent et s'occupent des plus vulnérables", souligne l'autrice de "La Révolution du féminin".

Le secteur de l'aide à domicile, d'ordinaire invisible et "marqué par des conditions d'emploi assez précaires", bénéficie par exemple "d'un zoom très fort", estime Alexandra Garabige, sociologue.

"Dans cette crise sanitaire, qui touche les plus vulnérables, les personnes âgées, et qui nous isole les uns des autres, ces femmes sont en contact avec le public et font le lien", décrit cette spécialiste des métiers du vieillissement.

Mais pourquoi ces métiers indispensables sont-ils caractérisés par une hyperféminisation? Dans l'article "Se salir les mains pour les autres. Métiers de femmes et division morale du travail", paru en avril dans la revue "Travail, genre et sociétés", les sociologues Christelle Avril et Irene Ramos Vacca définissent les "métiers de femmes" comme "ceux qui s'inscrivent dans le prolongement des fonctions ménagères et maternelles".

"On estime que c'est dans la nature des femmes de prendre soin des autres, ce qui explique que ces métiers soient si peu considérés et si mal rémunérés", relève Mme Froidevaux-Metterie, évoquant "la lourde charge émotionnelle pesant sur celles dont on attend qu'elles assument et prennent en charge le bien-être de leur entourage".

Signataire d'une récente tribune parue dans Le Monde pour demander la "revalorisation des emplois et carrières à prédominance féminine", la syndicaliste féministe Sophie Binet (CGT) observe en outre que "tous ces métiers très féminisés sont caractérisés par une détérioration des conditions de travail, un manque de considération symbolique et salariale, et des années de restriction budgétaire, notamment dans la santé".

Ces femmes, "qui sont aujourd'hui au front pour assurer leur emploi, sont aussi en première ligne pour réaliser les tâches domestiques et familiales", ajoute Mme Binet.

Pour la prochaine Journée des droits des femmes, le 8 mars, elle appelle à une "grève féministe" dans tous ces secteurs pour "rendre visibles les femmes et leur rôle pendant cette crise".

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