Elisabeth, "écoutante" au Samu social : "On reçoit en direct toute leur détresse"

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Par Claire DOYEN - Paris (AFP)
Publié le 22 janvier 2019 - 10:50
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Un SDF à Paris le 28 février 2018
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© Philippe LOPEZ / AFP/Archives
Un SDF à Paris le 28 février 2018
© Philippe LOPEZ / AFP/Archives

"Mon travail consiste à dire +Non, on ne peut pas+". Après quatre mois passés à répondre aux milliers de sans-abris qui appellent chaque jour le standard du Samu social, constamment saturé, Élisabeth a décidé de partir "parce que c'est trop dur".

Dans les bureaux du 115 de Paris, le même brouhaha que sur n'importe quelle plateforme d'appels: des phrases qui se mêlent, le clapotis rapide des doigts sur les claviers et régulièrement, des sonneries de téléphone en sourdine.

Mais ici, les conversations sont souvent graves et les sujets sensibles: "Est-ce que vous avez un ami, un proche, de la famille qui peut vous aider ?" "Vous voulez des adresses où vous pourriez aller manger, vous laver?" "Avez-vous des enfants?"

Dans une salle étroite d'un immeuble d'Ivry, en banlieue parisienne, l'équipe d'une cinquantaine d'"écoutants du 115" répond 24/24h et 7/7 jours aux appels des personnes à la rue qui tentent parfois désespérément de sortir du froid.

"On reçoit en direct toute leur détresse: les pleurs, la supplication, la colère, la révolte", raconte Élisabeth. "Aujourd'hui, je n'ai plus envie", dit simplement cette étudiante assistante sociale, pour qui le 115 est le reflet de "tous les dysfonctionnements des politiques qui ne s'adaptent pas assez vite aux besoins".

Étudiants, éducateurs spécialisés, avec une formation en psychologie ou simplement motivés, la plupart des "écoutants" ont aux alentours de 30 ans. Pour un salaire allant de 1.600 à 1.900 euros brut par mois plus quelques primes, ils passent entre 7 et 8 heures par jour à parler à des gens en détresse.

"Si vous cherchez un boulot alimentaire, c'est sûr que c'est pas le plus facile!" résume en souriant Jean-Sébastien David, un des responsables de la plateforme parisienne.

- "Un océan" -

Les bons jours, les écoutants arrivent à répondre à un appel sur quatre. Les mauvais, seuls 10% des appels aboutissent. Entre décembre et janvier, le Samu social a reçu en moyenne 8.800 appels chaque jour et a réussi à répondre à 1.180 d'entre eux. Sur ces deux mois d'hiver, 80 hommes seuls, 55 femmes seules et 300 familles en moyenne n'ont pas eu de proposition d'hébergement, soit plus d'un appel reçu sur trois.

Ce jours-là dans la salle, sur un tableau actualisé en temps réel, un "100%" en chiffres rouges clignote: toutes les lignes téléphoniques sont saturées. Les hommes, les femmes et de plus en plus souvent les familles qui appellent ne pourront pas obtenir un toit ce soir. "Il faut nous rappeler demain matin", entend-on ici et là.

"Quand il n'y a plus de place pour les familles, on leur dit qu'on leur enverra un SMS si une place se libère dans la journée", explique Shaïsta, 28 ans, au 115 depuis un an. "Le rappel des familles le soir, c'est horrible: ils savent alors qu'ils passeront une nouvelle nuit à la rue", dit-elle. "J'ai arrêté de faire les soirs."

"Il n'y a pas de situation moins importante ou moins difficile qu'une autre, explique Élisabeth, mais on est obligé de prioriser". "Il y a toujours pire", ajoute-t-elle en laissant tomber ses mains.

Fin décembre en Ile-de-France, 7.600 places d'hébergement d'urgence étaient mobilisables dans le cadre du plan hivernal, dont 3.913 à Paris, selon la préfecture d'Ile-de-France et plus de 4.000 étaient ouvertes, dont près de 2.000 dans la capitale.

"Parfois il y a de très beaux appels, de belles choses qui se passent", dit Élisabeth, se souvenant de la combativité d'une femme qui un jour avait finalement refusé sa place d'hébergement parce qu'elle avait réussi à trouver un toit contre un ménage. "Mais c'est perdu dans l'océan du reste", regrette-t-elle.

"Ca use émotionnellement et psychologiquement. Ca nous affecte mais j'arrive à prendre de la distance", dit Reza, qui pratique aussi des sports de combat "pour évacuer". Malgré tout, le jeune homme qui a quitté un emploi mieux rémunéré dans une banque pour le 115, dit aimer son métier parce que "le +Merci+ que je reçois ici, c'est parfois un +Merci, vous m'avez sauvé la vie+".

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