En Gironde, le lieu de repos éternel de "mutilés du cerveau" de 14-18 fait peau neuve

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Par Benoît PETIT - Cadillac (France) (AFP)
Publié le 08 novembre 2020 - 10:43
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Le "cimetière des oubliés", à Cadillac, en Gironde, le 15 octobre 2020
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© Philippe LOPEZ / AFP
Le "cimetière des oubliés", à Cadillac, en Gironde, le 15 octobre 2020
© Philippe LOPEZ / AFP

A l'ombre de l'hôpital psychiatrique de Cadillac, en Gironde, un lieu simple et sobre vient de faire peau neuve : le "cimetière des oubliés", où reposent des milliers de malades mentaux dont plus de 250 poilus traumatisés par la Grande Guerre.

Ceinte de hauts murs, cette longue parcelle étroite est parsemée de centaines de croix en fer rouillées, qui marquent des rangées de sépultures de terre couvertes d'herbes et de cailloux.

Les pierres tombales sont rares, les plaques funéraires encore plus et quelques crucifix sont posés à même le sol.

"Nous n'étions pas là pour faire un cimetière à l'américaine, avec une belle pelouse et des belles croix blanches, on se serait trompé", souligne l'architecte bordelaise Delphine Gramaglia, qui a supervisé une "restauration douce".

Elle a voulu "conserver l'austérité" de cet endroit bientôt centenaire, le seul cimetière dépendant d'un "asile d'aliénés", selon l'ancienne terminologie, à disposer d'un carré des combattants.

"C'est un cimetière des fous, comme on disait autrefois, dont certains sont morts pour la France" après avoir vécu l'horreur des tranchées, explique Michel Bénézech. Ce médecin psychiatre et légiste à la retraite a consacré au cimetière des recherches qui ont notamment permis son classement en 2010 aux monuments historiques, quand il était question d'en faire un parking.

Dans le cimetière, qui reste ouvert durant le confinement, une plaque rend hommage à ces "mutilés du cerveau" de 1914-1918. Leur carré contient une centaine de sépultures mais à l'occasion de la récente restauration, les noms et nationalités de 160 "poilus" supplémentaires ont été gravés sur quatre pans de mur en acier corten, dont l'aspect rouillé fait écho à celui des croix.

Des Gaston, Robert, Hector ou Jacques côtoient des Ouatara, Amady, Ouedraogo ou Ahmed. Au moins 88 tirailleurs sénégalais reposent pour toujours dans cette terre des bords de Garonne.

"Pas étonnant, glisse M. Bénézech, les mauvaises langues disaient qu'on les envoyait en première ligne. Il faut imaginer le choc pour un villageois africain auquel on mettait un fusil dans les mains pour aller se battre dans un pays dont il ne connaissait souvent pas la langue.... Ils étaient sensibles à certaines maladies et surtout la tuberculose".

Quelques prisonniers de guerre -Allemands, Autrichiens ou Hongrois- ont même fini leur vie dans la folie à Cadillac.

- "Mélancolie" -

Au fond du cimetière, un autre mur de corten, long d'une trentaine de mètres, regroupe désormais les noms de 3.401 civils inhumés à Cadillac depuis 1922 et identifiés après des recherches récentes. Avec les 160 poilus, ils s'ajoutent aux 903 défunts -civils et militaires- déjà connus.

Le but était de "redonner de la dignité" aux hommes, femmes et enfants enterrés là, même si on en ignore encore le nombre exact, relève Nathalie Ramondou, cheffe adjointe du service "Patrimoine et Inventaire" à la Région Nouvelle-Aquitaine, qui a assumé 70% du million d'euros de restauration.

Les internés l'étaient souvent pour des troubles de l'humeur, comme la "mélancolie", vocable d'autrefois pour la dépression, ou des cas de démence précoce, explique le professeur Bénézech. Avant l'arrivée des neuroleptiques dans les années 50, "on pouvait passer sa vie dans cet établissement, de 15 à 75 ans", dit-il.

Après la dernière inhumation en l'an 2000, ses recherches et l'activité de passionnés réunis dans une Association des amis du cimetière des oubliés de Cadillac, ont permis que le souvenir subsiste mais l'état du cimetière s'est dégradé.

"Le site se gorgeait d'eau en hiver, avec des flaques sur les sépultures", se souvient Mme Gramaglia. L'organisation originelle a été retrouvée "en fouillant d'anciennes cartes et des archives", dit-elle.

Le professeur Bénézech apprécie une intervention "a minima respectant l'esprit, la simplicité et la nudité" de ce "lieu rare". "Ce cimetière reflète une histoire de la folie et de la médecine", dit-il, "il n'y pas que les cathédrales qui font la richesse d'un pays".

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