Enseigner la Shoah : moins de difficultés, même si l'antisémitisme perdure

Auteur:
 
Par AFP
Publié le 13 octobre 2017 - 20:07
Image
Un homme visite le Mémorial de la Shoah à Paris, en janvier 2010
Crédits
© MIGUEL MEDINA / AFP
Un homme visite le Mémorial de la Shoah à Paris, en janvier 2010
© MIGUEL MEDINA / AFP

Il avait alerté sur les difficultés à enseigner le génocide juif dans certains quartiers: quinze ans après, "les choses ont changé" même si l'antisémitisme perdure, explique à l'AFP Iannis Roder, responsable des formations au Mémorial de la Shoah, à la veille de ses assises pédagogiques.

QUESTION: En 2002, vous avez été l'un des premiers à alerter sur les difficultés à enseigner la Shoah dans certains collèges, devant des élèves issus de l'immigration maghrébine notamment. Avez-vous été entendu depuis?

REPONSE: La prise de conscience a été un peu longue, parce que retardée par une volonté de ne pas regarder les choses en face. Les tenants de ces propos antisémites étant eux-mêmes perçus comme des victimes sociales - à tort ou à raison -, il était très compliqué pour certains d'accepter cette réalité. Pour prendre conscience de la profondeur de l'antisémitisme dans certaines parties de la population française, il a fallu Charlie en janvier 2015 - je ne dis même pas l'Hyper Cacher.

Sur l'enseignement de la Shoah, les choses ont changé parce que les gens n'ont pas eu le choix. Ils ont reconnu que ça pouvait être compliqué. Personnellement je dis que j'ai toujours pu tout enseigner: tout se joue d'abord dans la relation de l'enseignant aux élèves. Cela fait vingt ans que je suis professeur à Saint-Denis, vingt ans que j'enseigne l'histoire de la Shoah. Si j'ai entendu des remarques antisémites il y a quinze ans, je n'en ai plus du tout. Non pas que l'antisémitisme a disparu - je crois qu'il est relativement répandu -, c'est simplement la manière d'enseigner qui a changé.

Q. En quoi a-t-elle changé ? Faut-il se mettre dans la tête de l'élève pour l'atteindre, le toucher ?

R. Il ne s'agit pas de le toucher mais de mener une éducation citoyenne, de faire comprendre qu'à travers le génocide des juifs, c'est un processus politique qui est à l'oeuvre et qui vise une population de manière systématique. Je ne fais plus l'histoire de la souffrance des juifs, je fais l'histoire du nazisme. En outre, il faut développer l'enseignement des génocides et violences de masse pour montrer que ce sont des phénomènes qui peuvent se produire partout, chez les Arméniens, pour les Tutsis du Rwanda... Et faire comprendre à nos élèves que notre système démocratique, tout imparfait qu'il soit, est le meilleur rempart aux violences de masse.

Si vous insistez sur la souffrance dans le crime de génocide, vous allez réveiller une forme de concurrence victimaire chez ceux qui se pensent à tort ou à raison victimes: +On ne parle que d'eux et nous, alors? Et la décolonisation? La guerre d'Algérie?+ Je préfère faire appel à leur intelligence, les élèves aiment qu'on les considère, et on les considère d'abord par la qualité de l'enseignement.

Q. L'Education nationale s'est-elle mise à la hauteur de l'enjeu?

R. Il y a toujours un déficit de formation des enseignants qui est dû d'abord à une réalité: +l'objet Shoah+ est omniprésent dans les médias. Le sentiment existe dans l'opinion publique, partagé par les enseignants, que cette histoire est connue, maîtrisée. Or ce n'est pas le cas: quand vous demandez aux enseignants le dernier livre qu'ils ont lu sur la Shoah, généralement ils n'en ont pas lu...

Le ministère de l'Education a signé une convention-cadre avec le Mémorial de la Shoah, devenu opérateur public délégué sur les violences de masse et les génocides. Les inspecteurs le disent dans les rectorats, ils voient de nets progrès dans les pédagogies mises en place par les professeurs, c'est indéniable. Mais il faut continuer à réfléchir, enseigner, former, ne serait-ce que parce que l'historiographie se renouvelle.

Propos recueillis par Benoît FAUCHET

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.