Les employés de Fessenheim résignés à l'arrêt de la centrale

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Par Marie JULIEN - Fessenheim (France) (AFP)
Publié le 09 février 2020 - 09:50
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Un ancien employé de la centrale nucléaire de Fessenheim Jean-Luc Cardoso, le 24 janvier 2020
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© SEBASTIEN BOZON / AFP
Un ancien employé de la centrale nucléaire de Fessenheim Jean-Luc Cardoso, le 24 janvier 2020
© SEBASTIEN BOZON / AFP

"Je trouve ça triste que ça se termine comme ça". A moins de deux semaines de l'arrêt du premier réacteur, le 22 février, Jean-Luc Cardoso, 52 ans, s'est fait à l'idée de la fermeture de son lieu de travail depuis trois décennies, mais il en garde un goût amer.

Parmi les employés, "il y a une forme de résignation, une certaine lassitude et encore une grande colère d'incompréhension", rapporte le technicien d'exploitation, ancienne voix de la CGT. "On s'est battu contre, on a perdu", résume-t-il.

Passées les étapes de "la colère" et de "l'espoir que cela ne se concrétise pas tout de suite", c'est désormais "plutôt de la tristesse" qui anime le millier d'employés (EDF et prestataires) encore sur la centrale, raconte Frédéric Simeoni, 56 ans, également trente années de maison.

Cet ingénieur s'attend à une année 2020 "particulière". "Petit à petit, des collègues vont partir, ça se vide", relate celui qui va poursuivre son travail jusqu'en 2023, date prévue de fin d'évacuation des combustibles, mais aussi de son départ en retraite. "C'est le hasard".

- "Un gâchis" -

Quand Hervé Nolasco est muté à Fessenheim en 2015 pour rejoindre sa femme médecin en Alsace, la fermeture de la centrale est déjà envisagée, mais cette perspective est alors "encore impensable" pour les salariés. "Cela paraissait tellement aberrant qu'on ferme une centrale qui fonctionne bien", raconte ce Marseillais d'origine. L'arrêt "à l'été 2020" sera finalement acté fin 2018, après des années rythmées d'espoirs et de déceptions, se souvient l'employé de 35 ans, qui défend "l'une des centrales où il fait le plus +bon vivre+", moins bétonnée et plus proche de villes attractives, et dénonce "un gâchis" alors que la centrale avait franchi sans encombre les contrôles récurrents de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Fils et petit-fils d'agents EDF, Jean-Luc Cardoso reste convaincu d'avoir "le plus beau métier du monde", chaque jour différent. La plupart des salariés ont appris les spécificités du nucléaire en se formant à leur arrivée.

Comme Jean-Marie Rohé, qui a connu les débuts de la centrale. En 1974, employé sur une centrale à charbon, il postule à Fessenheim pour "aller voir" de lui-même en cette période où on entendait "tellement de choses contradictoires" sur le nucléaire. La centrale n'est pas encore terminée, mais elle impressionne déjà par son "gigantisme".

Le premier réacteur sera mis en service au printemps 1977. Ce jour-là, "il y a une concentration collective extrêmement élevée", se souvient le retraité de 74 ans. "C'est l'effervescence et en même temps un grand silence en salle des commandes".

"On savait qu'on avait entre les mains un outil qui demandait beaucoup de rigueur et de précision", explique l'ancien adjoint au chef de quart resté sur la centrale jusqu'au début des années 1990. Le premier accident nucléaire, sur la centrale américaine de Three Mile Island en 1979, ayant "obligé à réviser toutes les procédures" n'ébranlera pas sa confiance dans son outil de travail.

- Quatre années de flou -

Une seule fois, il a eu "la trouille": quand, en plein essor des contestations du nucléaire, un commando déclenche deux explosions sur le site. Ils préviennent par téléphone pour éviter les victimes, mais, de service, Jean-Marie Rohé est l'un des premiers à pénétrer dans l'enceinte en craignant une autre explosion. C'était en 1975, la centrale ne fonctionnait pas encore, mais cela a entraîné un renforcement de la sûreté du site.

Au démarrage, "on se projetait dans le temps", beaucoup ont construit leur logement dans les environs, explique M. Rohé.

Jean-Luc Cardoso d'ailleurs ne compte pas quitter sa maison rouge dans le centre de Fessenheim, un village qui "va s'endormir", craint-il. Il peut prétendre à la retraite en 2025 et espère travailler à la centrale jusque là.

Voulant aussi rester dans les environs, Hervé Nolasco sera sur le site de Fessenheim jusqu'en 2023, mais comment son travail au magasin général de la centrale va évoluer, il l'ignore. "Et en 2023, je ne sais pas ce que je vais faire non plus, donc j'ai quatre ans à passer un peu dans le flou", reconnaît-il, refusant néanmoins de se plaindre alors que "dans le privé, des gens se retrouvent sans emploi du jour au lendemain".

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