France Télécom : une femme médecin du travail raconte la souffrance de salariés

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Par Caroline TAIX - Paris (AFP)
Publié le 20 mai 2019 - 22:46
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Didier Lombard arrive au tribunal à Paris le 6 mai 2019
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© Lionel BONAVENTURE / AFP/Archives
Didier Lombard arrive au tribunal à Paris le 6 mai 2019
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Des indicateurs "dans le rouge" mais une direction "dans le déni": une femme médecin du travail de France Télécom a raconté lundi au tribunal la souffrance de salariés dans l'entreprise à partir de 2006, qui venaient la voir en pleurs, épuisés, en dépression.

Le procès pour "harcèlement moral" de France Télécom et de ses ex-dirigeants est entré lundi dans sa troisième semaine. S'il était jusqu'ici assez technique, avec de grands débats sur l'organisation de l'entreprise, la femme médecin du travail Monique Fraysse-Guiglini a décrit lundi les conséquences directes qu'ont eues, selon elle, les plans de transformation sur la santé des salariés.

En février 2006, les dirigeants de France Télécom ont annoncé le départ de 22.000 personnes de l'entreprise en trois ans. Les prévenus, dont les anciens PDG, numéro 2 et DRH, sont accusés d'avoir mis en place "une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et à créer un climat professionnel anxiogène".

Monique Fraysse-Guiglini a été embauchée à France Télécom, en 1994, à Grenoble. "Donc lorsque les plans Act et NExT sont mis en place, je connais bien l'entreprise", commence à la barre cette femme de 62 ans, aujourd'hui retraitée. "J'ai vu une inhumanité que je n'aurais pas pu imaginer à France Télécom".

"En 2007, les réorganisations se multiplient dans les services. Elles sont désordonnées. Les salariés me disent que tout semble être fait pour les déstabiliser", se souvient-elle. "Ils vivent en permanence dans la crainte de voir leur service disparaître, d'être muté".

Outre les 22.000 départs sur un total de 120.000 salariés, France Télécom, qui faisait face à des bouleversements technologiques dans un secteur très concurrentiel, voulait que 10.000 employés changent de poste.

Le programme "Time to move" avait été lancé. Des "espaces développement", rebaptisés par des salariés "espaces de dégagement", avaient été créés pour reclasser les personnels.

Dès mi-2007, Monique Fraysse Guiglini note une augmentation des visites spontanées à l'infirmerie. "C'est un bon indicateur du climat social: quand tout va bien, les salariés ne demandent pas à rencontrer le médecin du travail".

"En 2008, il y a une accélération des placardisations, de la mobilité forcée". Elle observe des syndromes anxio-dépressifs, des troubles du sommeil, de l'appétit, des syndromes addictifs. "Les salariés venaient en nombre à l'infirmerie, parfois pour pleurer", se souvient-elle.

- "Fruits pourris" -

"Les indicateurs sont dans le rouge, mais la direction est dans le déni", critique-t-elle.

Monique Fraysse Guiglini évoque le cas d'un salarié, Robert: "Ce technicien s'est effondré quand il a été muté dans une boutique comme vendeur. Il a perdu ses cheveux en une dizaine de jours et ils n'ont jamais repoussé".

"L'ambiance générale était tendue". Elle se souvient d'un salarié qui a tapé dans le mur, jeté son téléphone, crié en apprenant que son poste était supprimé. Un autre s'est jeté sur son manager.

Lors d'une rencontre avec Olivier Barberot, le DRH de l'entreprise, elle a tenté d'aborder le sujet. Mais "il pensait peut-être que nous dramatisions les choses. Il ne nous a pas crus".

"Lorsqu'on secoue un arbre, les fruits trop mûrs ou pourris tombent. C'est ce qui se passe à France Télécom", lui a dit un autre responsable des ressources humaines. En 2010, une de ses collègues médecin a démissionné en mettant en avant son sentiment d'impuissance et d'échec.

Peu avant Monique Fraysse Guiglini, c'est l'ex-PDG Didier Lombard qui était à la barre. Il a dû s'expliquer sur cette phrase restée dans la mémoire des salariés: "En 2007, je ferai les départs d'une façon ou d'une autre par la fenêtre ou par la porte", avait-il déclaré devant des cadres.

En tant que PDG, "les propos que vous tenez ont une valeur performative? Cela crée ce que ça dit, non?", l'a interrogé la présidente, Cécile Louis-Loyant. "Avec ce processus de brutalisation du discours, ne preniez-vous pas le risque de désinhiber les managers?", lui a demandé Jean-Paul Teissonnière, avocat de parties civiles.

"C'était une phrase idiote. Je la regrette, surtout si elle a eu des conséquences négatives", a-t-il répondu.

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