Génocide rwandais : la défense plaide l'acquittement de deux ex-maires

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Par Sofia BOUDERBALA - Paris (AFP)
Publié le 05 juillet 2018 - 21:12
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Croquis d'audience réalisé le 2 mai 2018 montrant Tito Barahira et Octavien Ngenzi (de g à d à l'arrière), deux anciens maires rwandais, condamnés en 2016 à la prison à vie pour leur participation au
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© Benoit PEYRUCQ / AFP
Un croquis montre les anciens bourgmestres rwandais Tito Barahira et Octavien Ngenzi, le 2 mai 2018, à la cour d'appel de Paris
© Benoit PEYRUCQ / AFP

Contre la perpétuité requise, la défense a plaidé jeudi l'acquittement de deux anciens bourgmestres rwandais, appelant les jurés à douter face à des témoins "incohérents" ou prisonniers d'un "récit collectif", 24 ans après le génocide.

Devant la cour d'assises de Paris, à l'issue de huit semaines d'audience, les avocats d'Octavien Ngenzi, 60 ans, et de Tito Barahira, 67 ans, ont tenté de gommer l'image "d'artisans de la mort" et de "dirigeants" du génocide que l'accusation avait bâtie la veille.

Les deux hommes, qui se sont succédé à la tête de Kabarondo, ont nié toute participation aux tueries dans ce bourg rural de l'est du Rwanda, où le pire des massacres eut lieu le 13 avril à l'église. Près de 2.000 morts selon l'abbé, pilonnés au mortier puis découpés à la machette, pendant près de sept heures.

En première instance, en 2016, Tito Barahira et Octavien Ngenzi avaient été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.

Pour les plaidoiries de leurs avocats, les accusés se sont présentés en veste, délaissant jogging et polo, en dépit de la chaleur étouffante sous la verrière de la cour d'assises: Tito Barahira - sous dialyse depuis des années - a pris place sur le fauteuil bleu qui lui est réservé, un calepin sur les genoux, tandis qu'Octavien Ngenzi s'est tenu droit, les bras croisés, sur le banc de bois du box.

"Impuissants", "sans courage": la défense a décrit ces notables "sans autorité", pris dans la tourmente des tueries d'avril 1994 que nul n'a su arrêter au Rwanda et qui firent plus de 800.000 morts en cent jours, selon l'ONU. Des hommes qui ne sont "pas des héros" mais "pas des criminels pour autant".

"Tito Barahira se défend très mal: il a l'air résigné, il est taiseux", explique son conseil Me Alexandra Bourgeot. "On s'étonne qu'il reste terré chez lui en temps de guerre", relève-t-elle, alors que l'accusation a raillé l'ancien bourgmestre qui s'occupe de sa bananeraie pendant que brûle l'église.

L'avocate fustige les lacunes du dossier, le fait que personne n'ait cherché à récupérer les archives de la compagnie Eletrogaz qui auraient pu "prouver qu'il y avait bien eu une panne de compteur requérant l'intervention de Tito Barahira": "Un élément capital à décharge" quand il est accusé d'inventer des alibis et de participer à la traque des Tutsi de la région.

- "Humain, comme vous" -

Alors que des témoins accusent Barahira d'avoir participé, armé d'une lance, au tri des réfugiés survivants de l'église, où tous les Tutsis furent achevés, Me Bourgeot pointe les approximations des témoins, compte neuf rescapés qui "n'ont pas vu Barahira". "Il n'était pas à l'église", répète-t-elle.

Octavien Ngenzi, lui, a bien été "spectateur du massacre de l'église", "parce qu'il avait la trouille. Parce qu'il est humain, comme vous, comme moi", a affirmé un de ses conseils, Benjamin Chouai.

Le distinguant d'un Barahira "brutal", le parquet général l'a décrit comme un dirigeant en "pleine autorité", habile comme "une anguille", et a requis contre lui, outre la prison à vie, une période de sûreté de 22 ans, jugeant le bourgmestre en exercice en 1994 "responsable de tous les morts de la commune".

Mais "ce n'est pas parce que vous avez été bourgmestre à l'époque du génocide que vous en êtes un rouage. Ce n'est pas automatique", a souligné Me Benjamin Boj. "N'oubliez pas, a lancé le jeune avocat, vous jugez Octavien Ngenzi, pas le génocide rwandais."

Reprenant un à un les témoignages, son autre avocat, Fabrice Epstein, a relevé les gestes du bourgmestre qui ont permis de "sauver" plusieurs de ses administrés. "Il a fait dans la mesure de ses moyens."

L'avocat a expliqué que les survivants, les tueurs condamnés puis libérés avaient construit un "récit collectif", une "mémoire commune" qui leur permet de vivre ensemble. "Ceux qui n'ont pas vu Ngenzi le désignent, parce que cela ne peut être que le bourgmestre."

Le verdict est attendu vendredi.

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