"Gilets jaunes" : la crise de l'étalement urbain

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Par Laure FILLON - Paris (AFP)
Publié le 18 janvier 2019 - 12:32
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Zone commerciale de Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône) le 6 janvier 2004
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© BORIS HORVAT / AFP/Archives
Zone commerciale de Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône) le 6 janvier 2004
© BORIS HORVAT / AFP/Archives

Quartiers pavillonnaires, zones commerciales, parkings, voies rapides: la crise des "gilets jaunes" met en lumière les limites de l'étalement urbain favorisé depuis des décennies mais rattrapé par la hausse des prix du carburant et la protection de l'environnement.

Les "gilets jaunes" "ont pris possession des ronds-points" et avec eux, "la France a accepté de regarder des espaces qui n'existaient pas dans le débat auparavant", se réjouit Hugo Bevort, du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), organisme chargé d'aménagement du territoire.

Loin des métropoles et de l'image idyllique des plus beaux villages de France, l'Hexagone est grignoté depuis le début des années 1970 par des lotissements pavillonnaires, des hyper et supermarchés et des zones d'activités accessibles quasi exclusivement en voiture. "Comment la France est devenue moche", titrait, provocateur, Télérama en 2010.

La population en zone périurbaine, dans l'extension des villes, est passée de 9,4 millions en 1968 à 15,3 millions en 2011, selon l'enquête "La question périurbaine". Soit près d'un quart des Français: des ouvriers, des employés et dans une moindre mesure des cadres.

Ce phénomène s'accompagne d'une artificialisation des sols. L'habitat individuel en est la première cause, devant le réseau routier. Ces zones artificialisées (bâtiments, routes, parkings, voies ferrées, espaces verts artificiels) occupent 9,4% du territoire métropolitain.

Entre 2006 et 2015, l'équivalent de la Seine-et-Marne a été pris sur des terres agricoles et des milieux naturels, faisant pousser un cri d'alarme à l'ancien ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot.

Les régions les plus touchées sont le Sud-Est et la façade Atlantique, où la croissance démographique est dynamique.

"Les populations aspirent à habiter dans des maisons individuelles et la généralisation de l'utilisation de la voiture a permis ce développement", explique à l'AFP Sandrine Berroir, géographe. Un mouvement soutenu par les pouvoirs publics avec le développement des infrastructures routières et les aides à l'accession à la propriété.

- Un coût environnemental -

L'appétit français pour les centres commerciaux est aussi marqué. Selon Franck Gintrand, auteur du livre "Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes", la France compte 2.000 hypermarchés et 10.000 supermarchés, soit 500 et 5.000 de plus qu'en 2008. Les zones commerciales "n'ont qu'un objectif, devenir les centres-villes de demain", estime-t-il.

Le centre de gravité de certaines petites et moyennes villes se déplacent en périphérie, tandis que leurs centres-villes se vident, au point d'inquiéter le gouvernement. Un plan de revitalisation a été lancé.

L'étalement urbain est synonyme du tout-voiture, indispensable pour travailler, faire ses courses et organiser des sorties. En cas d'envolée des prix du carburant, la facture devient salée.

Facture encore alourdie quand la maison de ses rêves se révèle mal isolée. "On a construit énormément de passoires thermiques", selon Christine Leconte, présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France: "Quand le gaz et l'électricité augmentent, on arrive à des situations où les gens n'ont plus les moyens de payer le crédit, les factures et l'essence".

Le constat n'est pas neuf. Depuis 2000, plusieurs lois -SRU, Grenelle, ALUR- tentent de contrer l'étalement urbain.

"C'est un problème environnemental", argumente Christine Leconte. L'artificialisation des sols renforce les effets des crues, des canicules en ville, affecte les espèces animales et végétales et conduit à la perte de bonnes terres agricoles. Outre la pollution liée aux transports.

- Repenser l'existant -

Pour autant, rien ne l'arrête: "On limite le rythme, mais sans remettre en cause le mouvement", constate Hugo Bevort.

Les causes sont multiples: logements chers dans les centres-villes des grandes agglomérations, recherche d'un meilleur cadre de vie, volonté des maires de dynamiser leurs villes en attirant des familles dans de nouveaux quartiers pavillonnaires, recettes fiscales apportées par un centre commercial et promesses d'emplois...

Les pouvoirs donnés aux maires en matière d'aménagement urbain a aussi contribué à "un émiettement" des décisions, explique Hugo Bevort, même si l'essor des intercommunalités pourrait y remédier.

Le sénateur EELV Ronan Dantec, qui avait alerté fin 2017 contre une "levée de bouclier massive" contre la taxe carbone, regrette aujourd'hui que les questions de répartition spatiale de l'emploi et du logement dans les grandes agglomérations soient "absentes du grand débat" national.

Pour l'architecte Christine Leconte, "on doit regarder l'existant et reconstruire la ville sur la ville", plutôt que de poursuivre "la fuite en avant".

La Fondation pour la nature et l'homme (FNH), pour qui la réponse aux "gilets jaunes" ne peut être seulement fiscale, demande aussi l'application de l'objectif "zéro artificialisation nette", un moratoire sur la création de nouvelles zones commerciales et de loisirs et les grands projets routiers et autoroutiers, mais aussi pour des projets actuels comme le controversé Europa City.

"Notre approche est de dire qu'il faut limiter l'étalement urbain mais aussi donner de la qualité urbaine à ces espaces", en y amenant des services, des commerces, des transports publics, répond Hugo Bevort. Ne pas opposer ville et périurbain, résume-t-il, mais "donner de la dignité à tous les espaces."

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