Houria Lafrance, l'enseignante atypique qui théâtralise les maths

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Par Rémy ZAKA - Toulouse (AFP)
Publié le 06 avril 2018 - 14:03
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Houria Lafrance pose à l'université Paul Sabatier à Toulouse, le 27 mars 2018
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© REMY GABALDA / AFP/Archives
Houria Lafrance pose à l'université Paul Sabatier à Toulouse, le 27 mars 2018
© REMY GABALDA / AFP/Archives

Le théorème de Pythagore, de Thalès ou la constante d'Archimède... sur scène: Houria Lafrance, enseignante atypique d'origine algérienne, issue d'une fratrie de douze enfants et née dans un quartier pauvre lillois, casse les codes dans son collège toulousain pour réconcilier les jeunes avec "l'art" des mathématiques.

L'idée lui est venue en 2009. Elle réfléchissait sur des "démarches expérimentales" (rap, danse, tutorat....) menées deci delà quand elle a proposé à ses élèves nécessitant un soutien d'imaginer une situation mathématique avec de la proportionnalité: "Vous allez jouer des personnages et je dois retrouver l'action, le cadre et le problème".

Cette première avait été une réussite. L'enseignante a donc réédité l'expérience. Cette fois dans son collège à Saint-Orens (Haute-Garonne).

"Quand on apprenait une leçon, je demandais de la jouer sous forme d'impro. Il fallait que dans la scène, je retrouve la notion de maths", explique-elle, y voyant un autre atout: "Les élèves apprenaient leurs leçons".

L'académie a regardé cette originalité avec circonspection mais n'y a finalement rien trouvé à redire, tout le programme étant effectué.

Certains collègues ou parents sont restés plus dubitatifs: "j'ai dû expliquer l'intérêt pédagogique. Qu'on n'allait pas seulement s'amuser. Qu'il y avait un apprentissage des mathématiques".

Aujourd'hui, sa démarche est entrée dans les mœurs. Mais toutes les notions mathématiques peuvent-elles se jouer? "Il faut avoir de l'imagination", répond l'enseignante aux cheveux bleutés, "il faut essayer et donner une certaine liberté aux jeunes ainsi qu'aux enseignants".

"Après si ça marche, ça marche. Si ça ne marche pas, ça ne marche pas, mais on a essayé", ajoute cette enseignante de 47 ans, dont le travail vient d'être consacré: elle a été, à sa "grande surprise", élevée au rang de chevalier de l'ordre national du Mérite et recevra sa distinction des mains du mathématicien et député LREM Cédric Villani, "le meilleur ambassadeur des maths".

- "Respect" -

Pourquoi le théâtre? Peut-être parce qu'enfant, la "numéro 8" de la fratrie rêvait de monter sur les planches.

Mais pour son père, "ouvrier qui trimait" et sa mère, mariée à 16 ans, "ne sachant ni lire ni écrire", c'était tout bonnement inconcevable.

"Il fallait qu'on réussisse. On n'avait pas le choix. Il fallait avoir le +nif+ (respect) des enseignants, de la France... Pour mon père, on représentait la famille", raconte Houria Lafrance, qui n'a jamais eu d'aide à la maison mais a toujours été poussée, notamment par son grand-frère, le numéro 4.

Au final, la fratrie a exaucé tous les souhaits du père arrivé en France en 1962, et qui passera quatre ans dans un bidonville: un radiologue, un médecin urgentiste, trois infirmiers, un chargé de proximité HLM, un comptable, une éducatrice, une diplômée de sociologie en passe de devenir assistante sociale, une éducatrice spécialisée, un directeur de centre médico-social, une enseignante et un agriculteur en Algérie.

"La réussite scolaire était une priorité pour mon père sans formation. Je voulais réussir pour moi en tant que fille, mais aussi en tant qu'enfant d'immigré car je me suis prise des claques", poursuit-elle. Collégienne, avec 18 de moyenne en maths malgré sa dysphasie, elle se souvient d'un prof lui disant: "Toi, tu rentreras au pays te marier".

"J'étais timide mais j'ai compris que je devais réagir. Et je réponds avec ma réussite", souligne cette mère de trois enfants, mariée à un docteur en physique.

Aujourd'hui, le moteur de l'enseignante est d'agir pour atténuer "les disparités sociales et culturelles", notamment dans les quartiers difficiles.

En octobre, elle organisera "En piste pour les mathématiques" à Bagatelle, un quartier prioritaire de Toulouse où elle a débuté professionnellement. "On ne montre que les difficultés de ces quartiers. Or, il y a plein de réussites aussi. Et ce sont celles-là qu'il faut montrer", insiste-t-elle.

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