Karachi : pour les enquêteurs, aucun lien étayé entre attentat et financement de la campagne Balladur

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Par Sofia BOUDERBALA et Benjamin LEGENDRE - Paris (AFP)
Publié le 08 octobre 2019 - 15:40
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Combo de photos d'Edouard Balladur et François Léotard
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© JEAN-PIERRE MULLER, MARC LE CHELARD / AFP/Archives
L'ancien Premier ministre Edouard Balladur et l'ex-ministre de la Défense François Léotard, renvoyés devant la Cour de justice de la République dans l'affaire Karachi
© JEAN-PIERRE MULLER, MARC LE CHELARD / AFP/Archives

Y a-t-il un lien entre l'attentat de Karachi et le financement de la campagne Balladur ? Selon un rapport judiciaire consulté par l'AFP, les enquêteurs des services de renseignement estiment qu'aucun élément sérieux ne permet d'étayer cette thèse, privilégiée par le juge Trévidic lorsqu'il était chargé du dossier.

"A ce stade des investigations, la piste islamiste comme explication de l'attentat de Karachi reste celle privilégiée", écrit la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans sa dernière synthèse adressée en avril au juge d'instruction qui a repris le dossier.

Dix-sept ans après l'attentat, les enquêteurs battent donc en brèche l'hypothèse d'une attaque menée en représailles à la décision de Jacques Chirac, tombeur d'Edouard Balladur à la présidentielle de 1995, d'arrêter le versement de commissions qui auraient servi in fine à financer son adversaire.

L'affaire Karachi doit son nom à l'attentat du 8 mai 2002 qui avait fait quinze morts, dont onze employés français de la Direction des constructions navales (ex-DCN), et blessé douze autres dans la ville pakistanaise. Tous travaillaient à la construction d'un des trois sous-marins Agosta vendus à ce pays, sous le gouvernement Balladur (1993-1995).

Tandis que l'enquête antiterroriste se poursuit, un procès s'est ouvert lundi à Paris pour six protagonistes du volet financier de l'affaire: trois politiques, un industriel et deux intermédiaires, dont l'homme d'affaires Ziad Takieddine, sont soupçonnés d'avoir pris part à un système de commissions en marge de contrats d'armement, ayant donné lieu au versement de rétrocommissions -illégales - qui ont pu servir à financer la campagne de M. Balladur.

L'ancien Premier ministre et son ministre de la Défense François Léotard viennent quant à eux d'être renvoyés devant la Cour de justice de la République, seule habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions.

L'enquête antiterroriste menée d'abord par le juge Bruguière privilégiait initialement la piste d'Al-Qaïda. Après l'arrivée du juge Marc Trévidic, et sous l'impulsion des parties civiles, le dossier a commencé en 2009 à explorer la thèse de représailles à l'interruption de ces commissions.

- "Sans fondement objectif" -

Cette nouvelle piste s'appuyait sur la découverte en 2008 des rapports Nautilus (du nom du sous-marin imaginé par Jules Verne), constitués de notes rédigées dès 2002 par un ancien des services de renseignement mandaté par un cadre de la branche internationnale de la DCN.

Pour la DGSI, ces rapports, qui s'appuient sur des "sources non identifiées" et une "argumentation sans fondement objectif", sont les seuls éléments évoquant un lien entre l'attentat et l'enquête sur la campagne d'Edouard Balladur.

Les enquêteurs soulignent que l'auteur des notes "lui-même reconnaît qu'il n'y avait aucune preuve d'un quelconque lien entre rétrocommissions et l'attentat, précisant qu'il s'agissait de son intime conviction".

Du côté de certaines parties au procès financier, on souligne en outre qu'au moment de l'arrêt du versement, non seulement aucune demande d'arbitrage ou contestation n'a été émise mais aussi que les intermédiaires avaient déjà perçu plus de 85% des commissions dues.

Quelle que soit la solidité des fameux rapports Nautilus, cela n'aura pas d'incidence sur le procès ouvert lundi qui porte sur des soupçons de flux financiers illégaux et auquel participent plusieurs familles de victimes. Le tribunal n'examinera la validité de leur présence comme partie civile qu'à la fin des débats, lors de son délibéré.

"J'accorde plus d'importance à l'appréciation d'un juge antiterroriste qu'à celle d'un commandant de la DGSI", rédacteur de cette dernière synthèse, a réagi auprès de l'AFP Me Olivier Morice, avocat des familles des victimes, qui privilégie l'autre thèse.

"Cette note passe sous silence toutes les faiblesses de la piste Al-Qaïda pointées par le juge Trévidic (parti en 2015, ndlr), qui avait dû faire face à l'obstruction de son service d'enquête", a-t-il ajouté.

A l'appui de la piste islamiste, la DGSI invoque au contraire "le contexte de l'après-11 septembre 2001, l'intervention militaire française contre les talibans et plus généralement les menaces contre les intérêts occidentaux à cette époque et dans cette région du monde", tout en concédant qu'"aucun élément nouveau n'a pu être recueilli sur les auteurs de cette action terroriste".

Une position qui n'engage pas le magistrat instructeur.

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