A la Libération de Paris, la revanche personnelle d'un pompier au sommet de la Tour Eiffel

Auteur:
 
Par Romain FONSEGRIVES - Paris (AFP)
Publié le 20 août 2019 - 10:09
Image
Des pompiers déploient un drapeau tricolore sur la Tour Eiffel le 25 août 2004 en hommage à leurs collègues qui ont hissé l'étendard le 25 août 1944 en pleine bataille pour la Libération de Paris
Crédits
© PIERRE VERDY / AFP/Archives
Des pompiers déploient un drapeau tricolore sur la Tour Eiffel le 25 août 2004 en hommage à leurs collègues qui ont hissé l'étendard le 25 août 1944.
© PIERRE VERDY / AFP/Archives

25 août 1944. Dans la bataille qui se joue pour libérer Paris, le capitaine Lucien Sarniguet tient sa revanche: voilà quatre ans que ce pompier rêve de remettre le drapeau tricolore sur la Tour Eiffel, pour laver l'affront que lui ont fait subir les Allemands.

"Pendant toute l'occupation, c'est resté dans sa tête", témoigne encore 75 ans plus tard sa fille, Jeanne-Marie Badoche. A 92 ans, elle entretient le souvenir vivace de "l'humiliation, jamais digérée" par son père.

En juin 1940, lorsque les troupes allemandes entrent dans un Paris déserté par le gouvernement, il est chargé de décrocher l'étendard au sommet du monument.

Une capitulation "insupportable" pour ce résistant de la première heure, membre d'un réseau baptisé "Armée volontaire", arrêté en août 1940 et emprisonné pendant 18 mois pour avoir fait passer des prisonniers en zone libre.

Alors, lorsque le général Leclerc dirige les chars de sa 2e division blindée sur la capitale, le capitaine Sarniguet est sur le qui-vive. Il ordonne des "reconnaissances" autour de la Dame de fer, "de jour et de nuit", selon ses notes sur les jours de la Libération.

Le 25, le moment est enfin propice. Dans sa caserne du 15e arrondissement, l'officier réunit quelques hommes de confiance: les sergents Henri Duriaux et Pierre Noël, le caporal chef Charles Rouard et les sapeurs Marcel Conversy et André Taillefer.

Dans leur fourgon, un drapeau tricolore de fortune. Six draps cousus entre eux en secret par des femmes de sous-officiers, raconte Jeanne-Marie Badoche.

Teint avec les moyens du bord, "le bleu était violacé, le rouge délavé, un peu rose", rit-elle. Exfiltré plusieurs semaines en zone libre, l'emblème est revenu à Paris depuis quelques jours, "caché dans le tube gazogène" d'une voiture.

Arrivée au pied de la Tour Eiffel, l'équipe s'assure que les pieds ne sont pas minés - Hitler ordonne vainement depuis des jours la destruction de Paris à son général sur place, Dietrich von Choltitz. La Wehrmacht contrôle encore les ascenseurs, reste les escaliers.

- Discrétion -

L'ascension des 1.700 marches du monument se fait au son des combats qui font rage à quelques centaines de mètres de là, entre la 2e DB de Leclerc - dont un brigadier est tué le jour de ses 20 ans - et les Allemands, retranchés à l'École Militaire de l'autre côté du Champ de Mars.

Vers midi, le capitaine Sarniguet et ses hommes touchent au sommet. Le drapeau français, même blafard, remplace la croix gammée qui flottait depuis plus de 1.500 jours sur Paris. "Je ne rencontrai pas d'autre obstacle que le vent", note le pompier dans ses écrits.

Aujourd'hui encore, une plaque au dernier étage de la Tour Eiffel commémore cet épisode. L'histoire a pourtant failli se perdre à cause de la discrétion des protagonistes. "Papa ne s'en est pas du tout vanté sur le moment", explique Jeanne-Marie Badoche.

C'est seulement dans les années 80, lorsque le sergent Duriaux fait "un peu de tri dans son portefeuille", que son fils Robert, devenu sapeur-pompier lui aussi, tombe sur "une toute petite photo en noir et blanc" de l'équipe d'alors, prise dans la Tour.

"On a failli passer à côté d'un fait relativement historique et mémorable", souffle Robert Duriaux, aujourd'hui retraité de 68 ans.

Après cette découverte, le fils écrit un article dans le magazine de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris et s'attache à réunir les membres du "commando", à l'aide du désormais "colonel Sarniguet", décédé en 1993, un an avant les commémorations en grande pompe du cinquantenaire de la Libération.

"C'est un acte de courage si on peut dire, mais c'est surtout une belle histoire", sourit Robert Duriaux. L'ancien pompier conserve le casque d'époque de son père et ne manque jamais l'occasion de participer aux reconstitutions de l'événement.

Pour les 75 ans fin août, une cérémonie aura lieu au pied de la Tour Eiffel.

Une occasion symbolique de rappeler "l'ensemble des actions qu'ont menées les pompiers de Paris" à la Libération, rappelle le capitaine Emmanuel Ranvoisy, conservateur de la Brigade. Le régiment de l'époque avait son propre groupe de résistance, baptisé "Sécurité Parisienne", et de nombreux pompiers ont par exemple "transporté des armes" pour les fournir aux insurgés parisiens.

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.