Début du procès-fleuve du Mediator à Paris, sur fond d'"impatience" et de "frustation"

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Par Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 23 septembre 2019 - 06:00
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Dans cette photo prise le 21 mai 2013, Jacques Servier, fondateur du fabricant pharmaceutique français Les Laboratoires Servier, - fabricant du médicament Médiator - attend dans la salle d'audience du
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© Lionel BONAVENTURE / AFP/Archives
-Dans cette photo prise le 21 mai 2013, Jacques Servier, fondateur du fabricant pharmaceutique français Les Laboratoires Servier, - fabricant du médicament Médiator - attend dans l
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Neuf ans après la révélation du scandale du Mediator, le procès des laboratoires Servier et de l'Agence du médicament s'est ouvert lundi à Paris pour plus de six mois, devant un tribunal conscient d'un sentiment général d'"impatience" et de "frustration".

"Le tribunal est conscient des sentiments d'impatience et de frustration, (…), des victimes, des témoins, des prévenus étant décédés entretemps, autant de personnes qui ne pourront pas s'exprimer", a déclaré la présidente Sylvie Daunis en ouvrant les débats peu avant 14H00.

Sur le banc des prévenus: le groupe pharmaceutique et neuf filiales, ainsi que l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et plusieurs de ses membres mis en cause pour leurs liens avec Servier. Face à eux, les avocats des parties civiles représentant les milliers de plaignants, qui exigent "réponses et réparation" et dont la longue liste a été égrenée par le tribunal lundi.

Jusqu'au 30 avril 2020, date à laquelle doit prendre fin ce procès pénal hors norme devant le tribunal correctionnel, une question animera les débats: comment ce médicament antidiabétique, largement détourné comme coupe-faim et tenu pour responsable de centaines de morts, a-t-il pu être prescrit pendant 33 ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité?

Pour l'un des avocats des victimes, Charles Joseph-Oudin, "le laboratoire a délibérément menti et caché les propriétés dangereuses du médicament" par goût du "profit". Le groupe Servier s'en défend: "Il n'est pas apparu de signal de risque identifié avant 2009" et son retrait du marché, assure l'un des conseils de la firme, Me François de Castro.

Le président des laboratoires, Olivier Laureau, a, lui, tenté de minimiser la responsabilité de Servier. "Nous attendons de ce procès qu'il permette de faire la lumière sur les faits exacts, sur les responsabilités multiples dans cette affaire", a-t-il déclaré.

En ce premier jour de procès, peu de parties civiles ont fait le déplacement et la salle d'audience, spécialement aménagée, a surtout vu défiler les nombreux avocats et témoins qui veulent connaître leur jour de passage.

Irène Frachon, pneumologue à Brest et l'une des premières à avoir alerté sur les risques du Mediator, a dit à son arrivée attendre "ce procès pénal depuis des années". Son audition est prévue le 16 octobre.

"Sous réserve" que le tribunal, qui va devoir statuer dans la semaine sur des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et d'autres questions procédurales, n'ordonne pas le renvoi du procès.

L'audience a été suspendue en fin de journée et ne reprendra que mercredi à 13H30, afin de laisser le temps aux nombreux avocats de répondre aux points de procédure soulevés.

- "Réalité terrifiante" -

Jusqu'à son retrait du marché le 30 novembre 2009, le Mediator a été utilisé par cinq millions de personnes en France. Il est à l'origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une pathologie rare et mortelle, et pourrait être responsable à long terme de 2.100 décès, selon une expertise judiciaire.

Le procès concernera essentiellement des faits de "tromperie aggravée", l'instruction pour "homicides et blessures involontaires" étant toujours en cours, même si ont été joints à l'audience les cas de 91 victimes - dont quatre sont décédées - pour lesquelles les expertises ont conclu à une causalité entre les pathologies et le Mediator.

Toutefois, une grande partie de ces victimes corporelles ont accepté des accords transactionnels d'indemnisation avec Servier en vertu desquels elles se désisteront de la procédure pénale.

"Ce qui s'est passé c'est une horreur. On a fait fi de la vie des gens", a déclaré avant l'audience l'une de ces parties civiles, Christine Langellier, 56 ans, qui a pris du Mediator en 1995.

Selon son avocat, Jean-Christophe Coubris, qui défend au total 1.650 parties civiles, les victimes attendent notamment que "les mensonges de Servier réitérés encore aujourd'hui puissent cesser".

Malades, éloignées ou "désabusées", de nombreuses autres victimes ne feront pas le déplacement, pointe Me Joseph-Oudin. "Il faut rappeler au tribunal la réalité terrifiante des désastres et méfaits du Mediator", insiste-t-il.

Annonçant "des débats très techniques", la présidente du tribunal a mesuré le défi posé par ce procès, affirmant qu'il n'avait pas pour mission d'établir "combien de morts le Mediator a pu causer" mais de "dire le droit, avec toute l'aridité que cela suppose", en déterminant si les prévenus sont responsables des infractions qui leur sont reprochées.

Onze personnes morales et douze personnes physiques comparaîtront au total. Cinq mis en cause sont décédés lors de l'instruction, dont le principal protagoniste, le fondateur des laboratoires Jacques Servier, mort en 2014 à 92 ans.

Le groupe Servier devra répondre de sept infractions, dont "escroquerie" au préjudice de la Sécurité sociale et des mutuelles. A son côté, l'ANSM, qui a remplacé l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) après le scandale, sera jugée pour "homicides et blessures involontaires" par "négligences", pour avoir tardé à suspendre le médicament.

En France, de premiers cas de valvulopathies et d'HTAP avaient été signalés dès 1999.

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