Le vin de rhubarbe, boisson des pauvres, des Vosges aux palaces parisiens

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Par Murielle KASPRZAK - Xertigny (France) (AFP)
Publié le 23 juin 2019 - 09:00
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De la rhubarbe à la Maison Moine, le 18 juin 2019 à Xertigny dans les Vosges en France
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© SEBASTIEN BOZON / AFP/Archives
De la rhubarbe à la Maison Moine, le 18 juin 2019 à Xertigny dans les Vosges en France
© SEBASTIEN BOZON / AFP/Archives

D'un coup d'oeil expert, Michel Moine, 70 ans, inspecte les brassées de rhubarbe fraichement récoltées dans un champ à côté de l'exploitation familiale à Xertigny (Vosges): "Elle est belle!", s’enthousiasme le patriarche qui a relancé le vin de rhubarbe dans les années 1980.

Trois décennies plus tard, ses deux fils quinquagénaires et ses petits-enfants veillent sur la production de la plante potagère, aux bâtons rouge carmin à l'extérieur et verts à l'intérieur, arrivée "par hasard" dans la ferme des Moine.

A l'époque, l'élevage de veaux et cochons périclitait et Michel Moine s'est reconverti dans la pomme de terre. Pour occuper les bâtiments d'élevage vides, il songe alors à la culture d'endives et se rend en Belgique pour prendre conseil auprès d'un producteur.

Il croise un maraîcher, tout juste retraité, qui cherche à vendre 400 pieds de rhubarbe avant qu'une pelleteuse ne les détruise, faute de repreneur. "Je n'étais pas intéressé, mais à la fin de la journée, le prix avait bien chuté. Donc, je suis rentré avec de la rhubarbe à planter pour la vendre en frais", raconte-t-il.

La deuxième année, avec le surplus, la famille fait "du vin de rhubarbe... comme nos grands-parents!".

"Un bidon de 200 litres. On n'en a pas eu assez. L'année suivante, on en a fait le double et on a vendu quelques bouteilles", raconte l'un des fils, Yannick. Succès garanti.

"C'était empirique, ça pétillait ou pas, on ne maîtrisait rien. Nous avons fait un stage dans une station oenotechnique en Champagne", raconte l'agriculteur.

Des cuves sort alors le Crillon des Vosges, un vin moelleux et tranquille, riche en arômes, à la robe dorée, affichant 13° d'alcool.

Les ventes s'affolent et les bouteilles atterrissent sur les nappes impeccables de plusieurs palaces parisiens, dont l'hôtel de Crillon, après avoir été remarquées au Salon de l'agriculture à Paris.

- "Pas de chimie!" -

Aujourd'hui, quelque 12.000 pieds recouvrent trois hectares de parcelles, plantées autour de l'exploitation, située en hauteur à Rasey, hameau de la commune de Xertigny, un territoire vallonné et forestier.

"La rhubarbe a horreur des courants d'air, doit être plantée mi-ombre, mi-soleil, dans une terre humifère", détaille Yannick Moine.

"On n'utilise pas de chimie!", assure-t-il. Le seul apport autorisé est un mélange compost-fumier, issu de l'élevage bovin, autre activité de la ferme.

Même pour contrer les attaques des mulots, principal ennemi de la plante potagère, la solution est naturelle : "On décompacte la terre aux abords des parcelles deux à trois fois par an avec un tracteur. Quand le mulot creuse des galeries, la terre s'effondre et il rebrousse chemin", sourit M. Moine.

La récolte dure une dizaine de jours, à raison de six tonnes ramassées par jour, entre mai et juin. Au matin, les cueilleurs arrachent le légume, puis déposent les tiges en bordure de champ. Viennent ensuite les coupeurs qui enlèvent avec un couteau la ligule, amère, à une extrémité, et la feuille, toxique, à l'autre.

Les bâtons sont découpés, défibrés, broyés dans une machine fabriquée sur mesure par Damien Moine, le second fils, puis envoyés dans un pressoir mécanique.

Le jus est ensuite transvasé dans des cuves en inox thermorégulées, avec du sucre et des ferments. La fermentation dure deux ans, en plusieurs étapes. La troisième année, le vin est embouteillé et mis sur le marché deux ans après.

"Le vin de rhubarbe était la boisson des pauvres dans les Vosges, quand le phylloxéra a ravagé les vignes (à la fin du XIXe siècle, NDLR). Les paysans n'avaient pas les moyens d'acheter du vin. Donc, ils en ont fait avec de la rhubarbe, de la framboise, de la groseille...", relate Yannick Moine.

"On n'a rien inventé, on a repris la recette de la grand-mère et on l'a customisée", ajoute-t-il en souriant, précisant être "l'un des rares producteurs de vin de rhubarbe".

Aujourd’hui, la rhubarbe se décline en vin sec, brut et moelleux, jus, vinaigre et gelée, mais le fameux Crillon représente 60% du volume.

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