L'ENA, fabrique des élites françaises, sacrifiée sur l'autel de l'égalité des chances ?

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Par Loïc VENNIN - Paris (AFP)
Publié le 25 avril 2019 - 22:22
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Emmanuel Macron devait annoncer lundi la suppression de l’ENA, installée à Strasbourg depuis le années 90
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© PATRICK HERTZOG / AFP/Archives
L'ENA, école du pouvoir
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Consanguine, déconnectée de la population, inégalitaire : l'Ecole nationale d'administration (ENA), matrice des élites françaises qui a enfanté nombre de présidents et de grands patrons, va être fermée par Emmanuel Macron en gage d'égalité des chances, telle que réclamée par les "gilets jaunes".

"Je pense qu'il (...) faut supprimer l'ENA", a expliqué le président français, qui en est lui-même un ancien élève, au cours d'une conférence de presse jeudi à l'Elysée.

"(Non) pas pour se donner le plaisir de supprimer" cette grande école, mais "pour bâtir quelque chose qui fonctionne mieux", a-t-il ajouté.

L'ENA, souvent qualifiée de Harvard à la française, a formé quatre des six derniers chefs de l'Etat (Emmanuel Macron, François Hollande, Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing) mais aussi nombre de ministres et de dirigeants des grands groupes français.

Véritable institution, elle favorise cependant l'entre-soi d'une classe dirigeante déconnectée du peuple, assurent ses détracteurs, dont beaucoup des "gilets jaunes" qui, depuis plus de cinq mois, descendent dans la rue pour réclamer plus de justice sociale et fiscale.

Selon un sondage Harris Interactive-Epoka pour LCI, 63% des Français sont favorables à la création d'une nouvelle école des services publics, plus ouverte sur la société actuelle.

"Dans le contexte des gilets jaunes, l'ENA est devenue le symbole de l'oligarchie toute puissante", souligne Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et à Sciences Po. "Mais c'est un mauvais procès", dit le politologue à l'AFP. "En fait, il n'y a pas d'énarchie car il y a de moins en moins d'énarques au sein du gouvernement et de la haute fonction publique".

En revanche, un vrai procès peut être fait à cette école sur le fait qu'elle "n'a pas su répondre à sa mission originelle qui était de diversifier les élites de la haute administration", reconnaît M. Rouban.

L'Ecole avait été créée en 1945 par le général de Gaulle pour, justement, démocratiser le recrutement des hauts fonctionnaires, avec la mise en place d'un concours d'accès unique.

- "Une caste fermée" -

Le but était de mettre fin à "un système de cooptation", rappelle son directeur, Patrick Gérard. Et avec succès, selon lui : l'actuelle promotion "ne compte aucun enfant d'énarque, de ministre ou de parlementaire" et un quart de boursiers de l'enseignement, souligne-t-il dans une tribune publie par le journal Le Figaro.

"J'ai grandi en banlieue parisienne, j'ai travaillé dans la France rurale, j'ai été chômeur, ouvrier du bâtiment...", explique ainsi à l'AFP Alexandre Canesson, un étudiant de l'ENA qui vient de terminer un stage ouvrier.

Soucieuse de s'ouvrir, l'école s'est installée à Strasbourg, afin de contrer les critiques sur un ethnocentrisme parisien, et a instauré un concours parallèle ouvert aux jeunes fonctionnaires.

Pour autant, le concours étudiant reste la principale porte d'entrée. Or, pour le réussir, "il faut obligatoirement passer" par des filières de prestige où les enfants de "la grande bourgeoisie ont plus de chances", souligne M. Rouban. "Il n'y pas de brassage social", tranche-t-il.

"On peut regretter que seuls 19% des élèves actuels aient un parent ouvrier, commerçant, employé, agriculteur, artisan ou chômeur" et "il faut encore mieux faire", concède Patrick Gérard.

Les énarques forment "une caste fermée sur elle-même, souvent coupable d'arrogance, accuse Arthur Dehaene-Queffélec, également un ancien de l'ENA. "Il est vrai que ces maux se trouvent dans d'autres filières. Cela pose un problème plus grave encore dans le cas de fonctionnaires qui prennent des décisions pour toute la nation. Cela leur donne un devoir de compréhension et d'empathie", écrit ce professeur d'économie dans le quotidien Les Echos.

Pour autant, les Français sont bien ingrats dans leurs critiques, estime Jocelyn Caron, un Québécois ancien de l'ENA.

"La réalité est que tous les pays ont leur filière d'élite et que bien souvent l'argent y joue un grand rôle dans leur accès", souligne-t-il, rappelant l'ultra-dominance au Royaume-Uni du duo Oxford-Cambridge ou aux Etats-Unis de l'Ivy League (les huit plus prestigieuses universités américaines, dont Harvard) où les études coûtent environ 40.000 euros par an.

La scolarité à l'ENA est, quant à elle, gratuite et les élèves sont payés 1.682,28 euros par mois.

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