Les "traditions" de Saint-Cyr à la barre du tribunal de Rennes

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Par Antoine AGASSE et Benjamin MASSOT - Rennes (AFP)
Publié le 23 novembre 2020 - 17:09
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"Fines", "Crocos", "bazars"... Le tribunal correctionnel de Rennes s'est penché lundi sur les traditions et l'étrange vocabulaire des Saint-Cyriens à l'ouverture du procès de sept militaires pour la noyade d'un élève officier de la prestigieuse école militaire en 2012.

Cinq élèves-officiers à l'époque des faits, aujourd'hui âgés de 28 à 31 ans, cheveux courts, vêtus d'impeccables costumes-cravate, ont pris place sur le banc des prévenus, aux côtés de deux membres de la hiérarchie de l'école de l'époque: le général Francis Chanson, 58 ans, et l'ancien chef de bataillon (commandant) Hervé Wallerand.

Jallal Hami s'était noyé dans la nuit du 29 au 30 octobre 2012, en traversant un étang lors d'une soirée de "bahutage", c'est-à-dire "de transmission des traditions de l'école" de Coëtquidan (Morbihan).

Ces élèves de deuxième année, "les Fines", étaient chargés d'organiser la "transmission des traditions", à l'intention des "bazars", les élèves de première année, a précisé le président du tribunal Alain Kerhoas, au cours d'un bref exposé lexical.

Une activité qui vise "à inculquer des valeurs", à "créer des moments d'enthousiasme et de cohésion", a expliqué l'un des prévenus, Simon Pitance, 30 ans, capitaine à la 4e brigade d'aérocombat de Clermont-Ferrand.

Il s'agissait pour les nouveaux incorporés de l'école de traverser un étang à la nage, de nuit, sur une distance de 43 mètres, avec casques et rangers, dans une eau à 9°C, dans le cadre d'une activité ayant pour thème le débarquement des Alliés en Provence.

Une épreuve dont l'idée même a "surpris" le procureur Philippe Astruc. "Le 15 août 1944, près de Cannes, l'eau doit être à 22 degrés...Je m'étonne du choix, pour symboliser le comportement sans doute méritant des Saint-Cyriens, de mettre tout ce monde dans une eau très froide, de nuit !", cingle-t-il, comparant cette transposition historique à un "Bir Hakeim sous la neige".

Trois catégories d'élèves avaient été dispensés d'activité par leurs aînés: les "crocodiles" (les élèves africains), les "porcelaines" (les exemptés) et enfin les "sans chibre" (les femmes). "Pourquoi les filles ont été écartées ?", s'interroge le président du tribunal. "Je ne saurais vous dire pourquoi", balbutie l'un des prévenus, Hugues Delvove, désormais ouvrier agricole dans le Tarn-et-Garonne.

- "Inconscients" -

Lors de la soirée fatidique, environ 120 élèves de première année s'étaient jetés à l'eau en deux passages, au rythme de la chevauchée des Walkyries de Wagner, comme dans "Apocalypse Now". Très vite, de nombreux élèves s'étaient retrouvés en difficulté. Des bouées avaient été lancées par les organisateurs pour extirper les élèves, avant que Jallal Hami, parti lors de la 2e vague, ne soit signalé manquant.

"J'avoue que nous avons été inconscients", avait reconnu Simon Pitance, en 2013 devant les enquêteurs. A l'audience, il a esquivé toute remise en cause personnelle, se retranchant derrière la décision du "Conseil des Fines", dont il n'était pas membre, d'organiser cette activité.

Hugues De Moulins de Rochefort, qui faisait partie dudit conseil, évoque lui "un sentiment de responsabilité" dans la mort "d'un compagnon". "La noyade prouve l'échec de notre organisation ce soir là", reconnait-il, soulignant l'importante "autonomie" dont bénéficiaient ces jeunes élèves officiers de 22 ans pour organiser une telle épreuve.

A la barre, Hugues Delvove, membre aussi du "conseil des fines", sans être bon nageur, dit avoir réussi cette épreuve "sans éprouver de difficultés" en 2011. Pour Rachid Hami, frère aîné de la victime et partie civile, on ne peut comparer l'exercice de 2011 à celui de 2012: "ils avaient pied, il y avait moins d’eau dans l’étang. Et la berge était solide, on pouvait mettre le pied dessus", a-t-il expliqué aux journalistes.

Durant les débats, il apparait que les jeunes Saint-Cyriens ont largement commis des entorses aux impératifs de sécurité, faisant fi des difficultés rencontrées par certains l'année précédente. "C’est une tradition séculaire: j’ai eu à le faire la première année, je reproduis" l'exercice, résume M. Pitance.

M. Delvove, poursuivi pour homicide involontaire comme les autres prévenus, note que les élèves-officiers avaient "un laissez-faire assez exorbitant. Etant élève, ça ne m’est pas venu à l’idée de chercher dans le règlement. J'ai fauté de la plus stupide des manières", a-t-il reconnu. "La tradition a été plus forte que le règlement", soupire le président.

Le procès doit s'achever vendredi.

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