Les vies à l'arrêt des "gilets jaunes" éborgnés

Auteur:
 
Par Sami ACEF, Rémi BANET et Guillaume DAUDIN - Paris (AFP)
Publié le 14 novembre 2019 - 08:40
Mis à jour le 16 novembre 2019 - 12:08
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Franck Didron, un gilet jaune eborgné par un tir de la police, le 2 février 2019 lors d'une manifestation à Paris
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© LUCAS BARIOULET / AFP
Franck Didron, un gilet jaune eborgné par un tir de la police, le 2 février 2019 lors d'une manifestation à Paris
© LUCAS BARIOULET / AFP

Eborgnés lors de manifestations, des "gilets jaunes" décrivent leur vie à l'arrêt, un an après le début du mouvement : la plupart tournent en rond chez eux, désormais sans travail, attendant que la justice "fasse payer" les coupables.

Les nuits sont agitées, cauchemardesques, parfois blanches, même sous somnifères. "C'est toutes les nuits. Des images me réveillent. Je me revois l'œil en sang appeler les +street medics+", confie David Breidenstein, 40 ans, blessé le 16 mars à Paris.

Les journées ne sont pas toujours plus simples. "L'été a été insupportable à cause de la lumière", affirme Alexandre Frey, blessé le 8 décembre dans la capitale.

Réinterrogés en octobre, dix des 24 éborgnés blessés lors des manifestations de "gilets jaunes" - selon le décompte du journaliste indépendant David Dufresne - racontent des vies à l'arrêt, parfois pires qu'au printemps, quand l'AFP avait recueilli leurs témoignages.

La grande majorité a perdu un œil en décembre et en janvier lors des manifestations émaillées de violents affrontements. Depuis le 17 novembre 2018, 2.500 manifestants et 1.800 membres des forces de l'ordre ont été blessés, selon le ministère de l'Intérieur.

"Je reste la plupart du temps allongée, j'ai comme de grosses migraines. La morphine parfois n'agit même plus", s'inquiète Fiorina Lignier, 20 ans, blessée le 8 décembre à Paris.

L'œil perdu a pour certains été le début d'une série de "mauvaises nouvelles", comme le dit pudiquement Vanessa Langard, blessée le week-end suivant sur les Champs-Elysées, avant de s'effondrer : "Je vais pas récupérer entièrement le goût et l'odorat et on a découvert que si j'avais pas mal d'absences, c'est dû à de l'épilepsie causée par le trauma crânien".

"C'est claque sur claque, sur claque", résume la trentenaire.

Au téléphone, des pleurs surviennent quand sont évoqués les couples distendus, les proches éloignés. Un éborgné dit avoir pensé au suicide.

Franck Didron, blessé le 1er décembre à Paris, a retrouvé un emploi. "En Haute-Marne, c'était impossible. Heureusement, quelqu'un qui avait commencé à me suivre sur Facebook m'a proposé de venir en Bretagne et j'ai trouvé une formation en sonorisation".

- "Il faut assumer sa gueule" -

Mais nombre d'entre eux vivotent avec des aides. Soit parce qu'ils ne peuvent plus conduire comme avant, soit parce que leur travail nécessite une vue parfaite.

"Il faut assumer sa gueule, c'est pas évident", ajoute Alexandre Frey, décorateur évènementiel. "Tant que je n'ai pas mon nouvel œil, je ne peux pas retourner voir mes clients. Je leur explique quoi ? Que j'ai pris une balle de squash ?"

Une moitié seulement des "gilets jaunes" interrogés continue de manifester les samedis. Franck, David, Alexandre et Vanessa participent aux actions du collectif "Mutilés pour l'exemple", contre les violences policières.

Fiorina Lignier s'est engagée pour les européennes mais a été écartée d'une liste d'extrême droite pour avoir dessiné une croix gammée sur une plage. Plusieurs autres disent avoir reçu des appels de politiques, "de l'extrême gauche à l'extrême droite".

Ils sont plusieurs à s'inquiéter de "gilets jaunes" en perte de vitesse, sans vrai leader. "Certains aimeraient que ce soit moi mais je ne veux pas être le chef, je préfère être celui qui gratte les couilles du chef", ironise Jérôme Rodrigues, l'une des figures du mouvement, qui a perdu un œil à Paris en janvier.

Car sur le fond, leur cœur y est toujours. Le mouvement "va continuer, peut-être différemment", veut croire David Breidenstein, même si les ronds-points se sont vidés et les rues ne sont plus aussi jaunes les samedis.

Le combat se poursuit surtout pour faire valoir leur préjudice. Avec de la "paperasse" pour toucher des aides, quand les "comptes sont HS tous les mois".

Et pour que la justice passe. Aucune enquête n'a encore débouché sur la mise en examen ou le renvoi devant un tribunal d'un membre des forces de l'ordre.

"Quand vous grillez un feu, vous payez. Donc j'espère qu'ils vont les retrouver et les faire payer", dit Jérôme Rodrigues. C'est cet espoir qui "fait un peu tenir" Vanessa Langard : "S'il peut y avoir une justice, c'est toujours ça".

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