Macron convoque les leçons de l'Histoire, les historiens débattent

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Par Anne RENAUT - Paris (AFP)
Publié le 11 novembre 2018 - 17:22
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Le président Emmanuel Macron le 11 novembre 2018 à Paris lors d'un discours pour célébrer le centième anniversaire de l'armistice de 14-18
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© ludovic MARIN / POOL/AFP
Le président Emmanuel Macron le 11 novembre 2018 à Paris lors d'un discours pour célébrer le centième anniversaire de l'armistice de 14-18
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Emmanuel Macron a de nouveau fait appel à l'Histoire dimanche, sous l'Arc de Triomphe, pour mettre le monde en garde contre le retour du nationalisme qui a mené aux deux guerres mondiales au XXe siècle. Ses références au passé partagent les historiens.

"Les démons anciens resurgissent, des idéologies nouvelles manipulent des religions, l’Histoire menace de reprendre son cours tragique", a-t-il lancé aux dizaines de chefs d’État présents à Paris pour commémorer l'Armistice de 1918.

"Nous sommes fragilisés par les retours des passions tristes, le nationalisme, le racisme, l'antisémitisme, l’extrémisme, qui remettent en cause cet horizon que nos peuples attendent", a-t-il ensuite assuré en ouvrant le Forum pour la Paix.

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres lui a emboîté le pas: "Bien des éléments aujourd'hui me semblent emprunter et au début du XXe siècle, et aux années 30, laissant craindre un engrenage invisible."

Le président français, qui met en avant l'opposition entre "progressistes" et "nationalistes", avait déjà appelé pendant toute la semaine à "ne pas faire bégayer l'histoire", tout au long de son périple mémoriel à travers l'est et le nord de la France.

Au cœur de son raisonnement figure l'analogie entre la crise économique de 1929 et celle de 2008, ainsi que l'accession au pouvoir de partis nationalistes et antisystème dans un nombre croissant de démocraties, qui lui évoque les années 30.

Le parallèle est valable aux yeux de l'historien Pascal Blanchard, co-auteur de "Les années 30, et si l'Histoire recommençait?" (La Martinière, 2017).

M. Blanchard parle d'"épuisement des partis politiques traditionnels" et perçoit une "peur identitaire" commune aux deux périodes. L'antisémitisme, le racisme contre les "exotiques" et la peur du "rouge" ont marqué les années 30. "Aujourd'hui chez Viktor Orban en Hongrie, Matteo Salvini en Italie et Donald Trump aux États-Unis le musulman et le clandestin sont désignés comme ennemis de la nation".

L'historien des migrations Benjamin Stora pense, pour sa part, que l'histoire ne se répète jamais. Il s'inquiète pourtant de voir, comme dans l'entre-deux-guerres, des pays s'en prendre aux médias, à la justice, à l'autorité de l’État et aux intellectuels, soit au final à "la complexité démocratique".

- Salvini et Orban "ne sont pas des fascistes" -

A l'inverse, Gilles Vergnon, historien à l'IEP de Lyon, déplore que le débat public soit enfermé dans une "référence quasi obsessionnelle à la tragédie des années 30". Pour lui, le point de comparaison avec notre temps pourrait tout aussi bien être la grande dépression de 1880-90 et le populisme du général Boulanger, qui a "sans doute plus de ressemblance avec la période actuelle".

MM. Salvini et Orban ou le gouvernement polonais ne sont pas non plus des fascistes, insiste M. Vergnon. "Ils sont nationalistes mais n'ont pas de projet expansionniste, ne s'appuient pas sur des partis milices et n'ont pas l'intention de forger un homme nouveau en éradiquant physiquement l'opposition".

Enfin la mondialisation des échanges est "sans commune mesure" avec les années 30, même si elle engendre des peurs et attise les protectionnismes.

L'historien des extrêmes droites Nicolas Lebourg songe, lui, à la période précédant la Grande Guerre, pendant laquelle "la jeunesse française ne croit plus du tout à la démocratie mais à des valeurs irrationnelles de force, d'autorité, d'unité".

L'historien Justin Vaïsse, président du Forum de Paris sur la paix qui réunit dimanche une soixantaine de chefs d’État, voit aussi des "résonances troublantes avec les années 30" et s'inquiète d'une remise en cause de la gouvernance mondiale.

"Chacun pense qu'il s'en tirera mieux tout seul, en consolidant sa souveraineté", note M. Vaïsse dans Le Monde. Avec le risque que les États sortent du cadre multilatéral de 1948, oubliant que "ni le climat, ni internet, ni les entreprises multinationales, ni les migrants ne connaissent de frontières".

Toujours dans Le Monde, Pascal Ory, un autre historien, propose une analyse très nuancée de ce qui distingue les années 1930 et 2010 et de ce qui pourrait les rapprocher. Mais au-delà de sa conclusion, il juge surtout très naturel de comparer ces deux périodes: "Le contraire eût été étonnant, si grande est présentement, à travers le monde, l’anxiété politique toutes familles confondues".

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