Manu Dibango, un sax' entre l'Europe et l'Afrique

Auteur:
 
Par Christophe PARAYRE, Philippe GRELARD - Paris (AFP)
Publié le 24 mars 2020 - 11:45
Image
Manu Dibango en concert à Abidjan le 30 juin 2018
Crédits
© Sia KAMBOU / AFP/Archives
Manu Dibango en concert à Abidjan le 30 juin 2018
© Sia KAMBOU / AFP/Archives

"Bâtisseur de ponts entre l'Occident et l'Afrique": voilà comment se décrivait le saxophoniste et figure de l'afro-jazz Manu Dibango, première personnalité mondiale morte à 86 ans des suites d'une contamination au coronavirus.

"J'ai l'harmonie des Bach et des Haendel dans l'oreille avec les paroles camerounaises. C'est une richesse de pouvoir avoir au minimum deux possibilités. Dans la vie, je préfère être stéréo que mono", racontait-il à l'AFP en août 2019, ponctuant ses réponses de son rire tonitruant et communicatif.

"Son héritage, immense, va rester, sa créativité était géniale, il faisait danser les gens, avec une efficacité redoutable", a commenté auprès de l'AFP, Martin Meissonnier, DJ et producteur historique des musiques du monde, "anéanti par son décès".

Le chanteur Youssou Ndour a twitté sa "tristesse": "Tu as été un grand frère, une fierté pour le Cameroun, et pour l'Afrique toute entière".

La Commission européenne a présenté ses "profondes condoléances à ses amis et à sa famille", ajoutant "le Cameroun a perdu un émminent artiste et nous partageons la tristesse du peuple camerounais".

Retour sur le parcours de cet homme que rien ne prédestinait à une carrière d'artiste. Encore moins à être repris par Beyoncé ou Rihanna.

Emmanuel N'Djoké Dibango est né le 12 décembre 1933 à Douala (Cameroun), dans une famille protestante très stricte. "Mon oncle paternel jouait de l'harmonium, ma mère dirigeait la chorale. Je suis un enfant élevé dans les +Alléluia+. Ça n'empêche que je suis africain, camerounais et tout ça", confiait encore cette haute silhouette au crâne glabre à l'AFP. Son père, fonctionnaire, l'envoie en France à l'âge de 15 ans, dans l'espoir d'en faire un ingénieur ou un médecin.

- Trois kilos de café -

Après 21 jours de bateau, Manu Dibango rejoint Marseille, puis Saint-Calais dans la Sarthe. Dans ses bagages, "trois kilos de café" -- denrée rare dans l'immédiat après-guerre et titre de son autobiographie --, pour payer sa famille d'accueil. Puis il étudie à Chartres, où il fait ses premiers pas musicaux à la mandoline et au piano.

Dans cet univers blanc, l'adolescent qui, de son propre aveu, "ne connaissait pas la culture africaine", s'identifie aux vedettes afro-américaines de l'époque. Count Basie, Duke Ellington, Charlie Parker deviennent ses "héros".

"Papa Manu" découvre le saxophone lors d'une colonie de vacances, traîne dans le Saint-Germain-des-Près de Boris Vian et finit par échouer à la seconde partie de son baccalauréat. Son père, mécontent, lui coupe les vivres en 1956. Il part alors pour Bruxelles, où il court le cachet, jouant de la variété. "A mon époque, il fallait faire des cabarets, des bals, des cirques. Jouer avec un accordéoniste comme André Verchuren assurait quelques dates", racontait-il.

Son séjour belge est marqué par deux rencontres fondatrices: la blonde Marie-Josée, dite "Coco", qui devient sa femme, et Joseph Kabasélé, chef d'orchestre de l'African Jazz. Dans l'effervescence des indépendances, le musicien congolais lui ouvre les portes de l'Afrique.

Manu Dibango le suit à Léopoldville (ancien nom de Kinshasa, ndlr) où il lance la mode du twist en 1962, puis ouvre une boîte au Cameroun.

- Procès contre Michael Jackson -

Trois ans plus tard, il est de retour en France, sans le sou. Il devient pianiste de rock pour Dick Rivers, organiste puis chef d'orchestre pour Nino Ferrer.

En 1972, on lui demande de composer l'hymne de la Coupe d'Afrique des nations de football, qui doit se tenir au Cameroun. Sur la face B du 45-tours, il enregistre "Soul Makossa". Des DJs new-yorkais s'entichent de ce rythme syncopé. Une autre vie commence.

Le saxophoniste part jouer au théâtre Apollo, temple de la musique afro-américaine à Harlem, se métisse encore un peu plus en tournant en Amérique du sud.

En 1982, vient une autre forme de consécration. "Soul Makossa" est samplé par Michael Jackson dans son album "Thriller"... sans son autorisation. Manu Dibango intente le premier d'une longue série de procès pour plagiat, qui se solde par un arrangement financier. Mais la victoire est ailleurs: le musicien est devenu une référence mondiale de la world music.

jf-ber-cpy-pgr/au/pb

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
Castex
Jean Castex, espèce de “couteau suisse” déconfiné, dont l'accent a pu prêter à la bonhomie
PORTRAIT CRACHE - Longtemps dans l’ombre, à l’Elysée et à Matignon, Jean Castex est apparu comme tout droit venu de son Gers natal, à la façon d’un diable sorti de sa ...
13 avril 2024 - 15:36
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.