A Mayotte, les Comoriens vivent dans la crainte

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Par Cécile AZZARO - Mamoudzou (AFP)
Publié le 20 mars 2018 - 16:40
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"J'ai peur, on est à un stade où on se fait justice soi-même, ça va créer une guerre entre nous", témoigne Saïd, 38 ans, Comorien en situation irrégulière à Mayotte, où se multiplient exactions contre les clandestins et reconduites à la frontière.

Dans l'île française, marquée par une forte pression migratoire issue des Comores voisines, les Mahorais, qui paralysent le territoire pour dénoncer l'insécurité, réclament des mesures contre l'immigration comorienne, qu'ils jugent responsables de tous les maux.

Selon l'Insee, "en 2015, plus d'un adulte sur deux vivant à Mayotte n'y est pas né", et les natifs des Comores "représentent 42% de la population".

Le gouvernement s'est engagé à renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière, notamment en multipliant ces derniers jours les opérations de contrôle de clandestins. Il a annoncé 192 reconduites à la frontière jeudi et vendredi, des associations évoquent 450 interpellations en quatre jours.

Saïd, Comorien, vit depuis 20 ans à Mayotte, dans le quartier populaire de Boboka, à Mamoudzou. "J'ose pas sortir, j'ose rien faire du tout à cause de tout ce qui se passe au niveau de la police et de la gendarmerie", explique ce père de deux enfants.

Les expulsions de personnes présumées clandestines menées ces derniers jours par des habitants, l'inquiètent aussi. "Dans le nord, à 3H00 du matin, ils ont fait sortir des étrangers de leur maison pour les emmener aux gendarmes", croit-il savoir.

Lui qui est venu "comme beaucoup de monde, pour une vie meilleure", dit avoir "fait tout ce qu'il faut pour être intégré", tout en reconnaissant qu'"avant, nous les étrangers, on était moins nombreux".

Dans le quartier pauvre de Kaweni, au milieu des pneus, planches, détritus, câbles et morceaux de tôle rouillée, les enfants jouent ensemble, sans se préoccuper de leur nationalité. Ici, ce qui les lie c'est avant tout la pauvreté.

"Mahorais, Comoriens, on est mélangé, ça se passe bien", assurent deux jeunes Mahoraises, bien plus préoccupées par le manque de gaz et de charbon, depuis que la grève générale et les barrages empêchent toute livraison.

- "Se faire discret" -

Dans un autre banga (case de tôle) du bidonville de MGombani, à Mamoudzou, Mohammed Soilihi Mounir essaie aussi de survivre, avec ses 4 filles, dont deux de 6 et 8 ans arrivées "la semaine dernière en kwassa-kwassa" depuis Grande Comore, et qui "seront premières de la classe", dès qu'elles pourront être inscrites à l'école.

"On n'est pas venus à Mayotte, on est venus en France. Un pays qui aide, un pays qui sauve, un pays qui éduque", insiste ce détenteur d'une maîtrise de biologie médicale, qui donne des cours aux enfants de Mayotte faute de travail officiel, regrettant "qu'on insulte les Comoriens, qu'on parle de délinquance".

Pour Ansoirdine, étudiant sans papier de 22 ans arrivé il y a 8 ans et hébergé chez sa tante, "le truc, c'est de se faire discret. Je reste chez moi ou à la bibliothèque (...) Ma tante a toujours peur que je me fasse prendre".

"A chaque fois qu'il y a de la violence, ils jettent tout sur les immigrés. Oui, il y a des jeunes Comoriens qui font n'importe quoi, mais il ne faut pas stigmatiser tout le monde", dit-il.

La permanence de la Cimade, qui accueille quotidiennement une cinquantaine de personnes en situation irrégulière, est quasiment déserte. "Les gens ont extrêmement peur d'être interpellés", explique Solène Dia, chargée de mission.

Pourtant à Mayotte "être interpellé et être embarqué au CRA (Centre de rétention administratif) c'est quelque chose de très commun finalement. Sauf que là (...) les gens ont encore plus peur parce (...) qu’il y a des possibilités de représailles de la part de populations qui sont sur le territoire".

Au CRA, où à cause des barrages les associations ne peuvent plus assister les personnes interpellées, "énormément de personnes ont été éloignées, alors qu'elles sont parents d'enfants français", assure-t-elle. La durée moyenne de rétention à Mayotte est de 17 heures, contre 8 à 9 jours en métropole.

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