Michel Piccoli, le charme discret d'un monstre sacré du cinéma

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Par Anne-Marie LADOUES - Paris (AFP)
Publié le 18 mai 2020 - 16:20
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L'acteur Michel Piccoli le 4 septembre 2013 à à la Cinémathèque française à Paris
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© PIERRE ANDRIEU / AFP/Archives
L'acteur Michel Piccoli le 4 septembre 2013 à la Cinémathèque française à Paris
© PIERRE ANDRIEU / AFP/Archives

Compagnon de route de Claude Sautet et de Luis Buñuel, Michel Piccoli, décédé à l'âge de 94 ans, était un des monstres sacrés du cinéma français, avec des films qui ont marqué leur époque comme "Le Mépris", "Les Choses de la vie" ou "La Grande Bouffe".

Grand, brun, sourcils broussailleux et voix qui tonne ou ensorcelle, ce personnage complexe disait "se régaler à jouer l'extravagance ou les délires les plus troubles".

Renoir, Resnais, Demy, Melville, Bunuel, Godard, Varda et Hitchcock: Michel Piccoli a tourné avec chacun d'eux, mais n'a cessé de s'engager avec de jeunes auteurs avant de se lancer lui-même dans la réalisation, à 70 ans.

"Peu m'importe (...) de faire des choses non commerciales, dangereuses", déclarait-il aux Cahiers du cinéma. "Je préfère les prototypes aux séries."

"Prototype" par excellence, "Le Mépris" de Jean-Luc Godard (1963) avec Brigitte Bardot, le révèle au grand public. Dans cette chronique du désamour, il joue un scénariste, chapeau vissé sur la tête "pour faire comme Dean Martin".

Il tourne ensuite plus de 150 films, incarnant même un pape mélancolique qui rêve de se fondre dans l'anonymat des rues de Rome, dans "Habemus Papam" de Nanni Moretti (2011). Un de ses derniers grands rôles, qui aurait pu lui valoir un prix d'interprétation à Cannes.

Un personnage qui était, selon lui, "un homme qui, avant tout, a un grand sens de la dignité de sa tâche et non pas de sa gloire".

- Rejet de la bourgeoisie -

Né le 27 décembre 1925 à Paris, il dira de ses parents, "musiciens sans passion", qu'ils lui ont "servi de contre-modèle". Cette famille qu'il a décrite "égoïste, raciste et franchouillarde" a probablement pesé dans son rejet de la bourgeoisie.

Très vite, il prend des cours de théâtre et débute au cinéma dans "Le Point du jour" de Louis Daquin. Parallèlement, il commence sur les planches, notamment avec la compagnie Renaud-Barrault.

En 1945, à la Libération, il a 20 ans. L'époque lui donne sa chance. A Saint-Germain-des-Prés, il fait des rencontres: Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Juliette Gréco - qu'il épousera en 1966 -, des réalisateurs dont Luis Buñuel.

Question d'époque aussi, il devient compagnon de route du Parti communiste. Un engagement à gauche qu'il gardera sans jamais s'encarter, affichant parfois son soutien (à François Mitterrand en 1981, à Ségolène Royal en 2007).

Remarqué pour la première fois au cinéma avec "Le Doulos" de Jean-Pierre Melville (1962), il devient célèbre l'année suivante avec "Le Mépris". Il tourne ensuite énormément, fait la navette entre la France et l'Italie et étreint à l'écran nombre d'actrices: Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et Romy Schneider.

Il devient aussi un des acteurs fétiches de Buñuel ("Le journal d'une femme de chambre", "Belle de jour", "Le charme discret de la bourgeoisie") chez qui il incarne des personnages troubles, puis de Claude Sautet dans les années 70 ("Les choses de la vie", "Max et les ferrailleurs", "Vincent, François, Paul... et les autres"), qui fait presque de lui une incarnation des Trente glorieuses.

- "Anti-star"-

Il brise ensuite son image de séducteur au front dégarni et se jette dans des rôles aux profils débridés, dont celui d'homosexuel suicidaire dans "La Grande Bouffe" de Marco Ferreri (1973), qui fit scandale sur la Croisette par ses scènes orgiaques et scatophiles.

Son refus du plan de carrière, son côté "anti-star" l'amènent à tourner également des films d'auteur sous la direction de Leos Carax, Jean-Claude Brisseau, Jacques Doillon.

En 1990, il campe avec gourmandise un personnage de grand bourgeois fantasque dans "Milou en mai" de Louis Malle, avant de devenir le peintre intransigeant de "La Belle Noiseuse" de Rivette (1991), aux côtés d'Emmanuelle Béart. Le film lui vaudra sa quatrième nomination aux César, mais il ne remportera jamais de statuette.

A la télévision, il a joué "Don Juan ou le Festin de pierre" de Marcel Bluwal en 1965, qui attira 12 millions de téléspectateurs.

Au théâtre, il a été dirigé par les plus grands, Peter Brook, Patrice Chéreau, Luc Bondy... "Si je pense à tous ces monstres que j'ai interprétés, tous ces abysses dégoûtants qui font peur, dira-t-il, je crois que c'est pour moi une façon de dire mes secrets."

Très discret sur sa vie privée, Piccoli, qui s'est marié trois fois - il est mort aux côtés de sa dernière épouse, la scénariste Ludivine Clerc - lèvera un coin du voile, à 90 ans, dans un livre d'entretiens avec son ami Gilles Jacob ("J'ai vécu dans mes rêves"). Il y confiait notamment son angoisse de ne plus pouvoir travailler: "On voudrait que ça ne s'arrête jamais et cela va s'arrêter".

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