A la barre, le cardinal Barbarin réfute vivement toute dissimulation d'actes pédophiles

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Par Marjorie BOYET - Lyon (AFP)
Publié le 07 janvier 2019 - 05:00
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Le cardinal Philippe Barbarin, le 15 mars 2016 lors d'une conférence des archevêques
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© ERIC CABANIS / AFP/Archives
Le cardinal Philippe Barbarin a-t-il suffisamment agi en apprenant le passé pédophile d'un prêtre ? Le tribunal correctionnel de Lyon juge le prélat lundi au côté de cinq anciens membres du diocèse pour non dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs.
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Le cardinal Philippe Barbarin, jugé avec cinq anciens membres du diocèse de Lyon pour non-dénonciation d'agressions sexuelles, s'est fermement défendu lundi d'avoir "cherché à cacher" des faits "horribles" perpétrés par un prêtre.

"Je n'ai jamais cherché à cacher, encore moins à couvrir ces faits horribles", a assuré l'archevêque de 68 ans, dans une déclaration lue devant les juges du tribunal correctionnel.

"Je ne vois pas de quoi je suis coupable", a-t-il ajouté, affirmant même avoir "agi" en demandant à une victime du père Bernard Preynat d'en trouver d'autres, non prescrites, afin de lancer une procédure judiciaire. "La preuve: il en a trouvé !", a-t-il souligné durant son interrogatoire.

Mgr Barbarin - qui a passé le reste de l'audience le regard fixé devant lui, les mains souvent jointes sous le menton comme s'il priait - et ses cinq coprévenus comparaissent jusqu'à mercredi pour ne pas avoir dénoncé à la justice des abus sexuels commis par le père Preynat sur de jeunes scouts de la région lyonnaise avant 1991. Ce prêtre de 73 ans, mis en examen en 2016, pourrait être jugé cette année.

Les six accusés encourent trois ans de prison et 45.000 euros d'amende. Deux d'entre eux, Mgr Barbarin et Régine Maire, l'ex-responsable de la cellule d'écoute des victimes d'actes pédophiles dans le diocèse, sont également poursuivis pour "omission de porter secours".

Les neuf plaignants leur reprochent d'avoir maintenu le père Preynat au contact d'enfants jusqu'en 2015, date à laquelle un ancien scout a porté plainte pour la première fois, alors qu'ils étaient au courant des agissements passés du prêtre.

- "Jamais entendu pareil récit" -

Dans les années 2000, Mgr Barbarin avait eu connaissance de "rumeurs" selon ses mots, qui l'ont néanmoins conduit à convoquer le père Preynat en 2010. Le prêtre lui jura alors n'avoir jamais recommencé.

"N'avez-vous pas appris qu'on n'est jamais très sûr quand un pédophile dit qu'il ne recommencera plus ?", a interrogé la présidente du tribunal, Brigitte Vernay. "Ça m'effraie qu'on puisse croire sur parole quelqu'un comme lui", a renchéri Me Jean Boudot, un avocat des plaignants.

"Tout le monde me reproche de l'avoir cru", a répondu Mgr Barbarin, mais, a-t-il justifié, "on n'a pas trouvé de fait incriminable après" 1991.

Le parquet de Lyon avait classé l'affaire sans suite en août 2016 mais des victimes ont alors cité directement les prévenus devant le tribunal, près de quatre ans après la première plainte.

Depuis que le scandale a éclaté, le cardinal de Lyon avait déjà nié les faits, reconnaissant des erreurs d'appréciation et demandant pardon aux victimes de prêtres pédophiles.

Lundi à la barre, il est revenu sur sa rencontre, fin 2014, avec une des victimes du père Preynat, Alexandre Hezez. "Jusqu'alors, je n'avais jamais entendu pareil récit", a assuré l'archevêque, qui transmit alors au Vatican ce témoignage. La réponse ne tarda pas: il fallait écarter le prêtre.

"Eh bien ça c'est facile, pourquoi vous ne le faites pas ?" tout de suite, a demandé la présidente. Parce qu'il fallait "éviter le scandale public", a rétorqué le prélat, "j'ai fait exactement ce que Rome m'a demandé" en différant de quelques mois la mise à l'écart.

- "Rien que la vérité" -

La procureure Charlotte Trabut n'a posé aucune question à l'archevêque, mais le tribunal et les parties civiles l'ont questionné pendant plus de trois heures. Souvent maladroit ou confus dans ses réponses, Mgr Barbarin a assuré dire "toute la vérité, rien que la vérité" - car "elle vous rendra libre", a-t-il dit en citant l'Evangile.

A l'issue de cet interrogatoire, Alexandre Hezez l'a jugé "assez sincère".

"Dans toute institution, il y a un mécanisme de déresponsabilisation totale: j'ai la possibilité et même le devoir de faire mais j'attends que Rome me dise de le faire. C'est ce qu'on veut mettre en avant", a-t-il expliqué.

Le cardinal espagnol Luis Ladaria Ferrer, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome, était aussi poursuivi mais le Vatican a opposé son immunité.

Chacune des entrées et sorties de la salle d'audience du primat des Gaules, encadré par deux agents de sécurité, étaient scrutées par des dizaines de photographes et caméramen, dont de nombreux médias étrangers.

Dénonçant un "procès spectacle", l'un des avocats de la défense, Me Xavier Vahramian, a considéré que l'objectif des plaignants était "de prendre l'opinion à témoin". Appelé à la barre avant le cardinal, son ancien directeur de cabinet Pierre Durieux avait lu un texte dans lequel il qualifiait la procédure de "chasse à l'homme", avant de faire valoir son droit au silence.

Auparavant, la défense avait plaidé des irrecevabilités et des nullités de procédure, jointes au fond du dossier. Parmi les points évoqués, "l'absence de préjudice personnel direct et certain" des parties civiles à l'égard des prévenus.

"Peut-être qu'on se fera malmener sur notre intérêt à agir mais il n'y a aucun doute sur l'intérêt de l'action et ce débat-là va permettre une prise de conscience", estime François Devaux, cofondateur de l'association La Parole libérée, à l'origine des révélations.

Reprise des débats mardi à 09H30.

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