Pour les arbres, la pasteure Caroline Ingrand-Hoffet sonne les cloches

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Par Marie JULIEN - Strasbourg (AFP)
Publié le 05 octobre 2018 - 10:07
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La pasteure Caroline Ingrand-Hoffet, le 27 septembre 2018 à Kolbsheim, en Alsace
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© FREDERICK FLORIN / AFP
La pasteure Caroline Ingrand-Hoffet, le 27 septembre 2018 à Kolbsheim, en Alsace
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Distinguer le ciel de la terre n'est pas pour elle: la pasteure Caroline Ingrand-Hoffet sonne les cloches et panse les plaies du village alsacien de Kolbsheim qui voit sa forêt se faire abattre pour une future autoroute.

"Je ne peux pas faire de la théorie dans mon église en disant +il faut faire attention à la Création+ et ne rien dire sur ce qu'il se passe à 300 mètres", plaide la pasteure de 43 ans au sourire affable.

La nuit du 10 septembre, Caroline Ingrand-Hoffet est en alerte. Avant l'aube, le doute est levé: des centaines de gendarmes s'apprêtent à évacuer la Zone à défendre (Zad) de Kolbsheim, créée en opposition à un projet de rocade à l'ouest de Strasbourg.

Peu avant 05H00, elle presse le bouton au fond de l'église. Les cloches se mettent à sonner dans l'obscurité. A ce signal, les villageois se lèvent -- même Germaine, 89 ans, en déambulateur -- et sortent sans arme se battre pour leur forêt.

La pasteure a plusieurs fois fait retentir les cloches comme on sonne le tocsin. La première fois, en septembre 2017, les villageois avaient fait reculer les engins de chantier. "Le matin, ce sont les personnes âgées, les agriculteurs, qui sont là et ils ne sont pas sur les réseaux sociaux, donc il fallait un moyen pour les prévenir et le maire m'a demandé si on pouvait utiliser les cloches", raconte-t-elle.

- Caution supplémentaire -

Caroline Ingrand-Hoffet "a des convictions, elle a une foi et elle les vit, elle ne fait pas que d'en parler", loue le maire de Kolbsheim, Dany Karcher.

Vent debout contre ce projet autoroutier, l'élu voit dans cet engagement "une caution supplémentaire" qui a "ramené un public supplémentaire" et facilité l'acceptation par les villageois des zadistes, accueillis à la salle paroissiale.

"Elle a eu un côté humain, elle a apporté un soutien logistique, elle a redonné à la foi ses valeurs", estime une zadiste.

"Dans la Bible, Jésus nous parle de la vie, de la société, il ne nous dit pas: priez pendant une heure et faites ce que vous voulez après", explique Caroline Ingrand-Hoffet, qui aurait eu "l'impression d'être hypocrite" si elle ne s'était pas engagée dans cette lutte avec les habitants.

Ses convictions écologiques ne sont pas récentes. "J'ai toujours eu, en lien avec mes convictions chrétiennes, un souci de sauvegarde de la création, parce que c'est notre milieu de vie et si on n'y prête pas attention, on va tous mourir avec, à petit feu", argumente-t-elle derrière ses lunettes colorées encadrant des yeux très clairs.

Femme et fille de pasteurs, celle qui a choisi de "devenir pasteure à 16 ans, par vocation" n'est pas la première dans sa famille à concilier ministère pastoral et militantisme: sa grand-mère a été la première pasteure mariée en France, son père était adjoint au maire de Mulhouse et conseiller régional PS.

- Souci de la création-

"Le message de l'Evangile nous invite à nous intéresser au monde qui nous entoure", rappelle Christian Albecker, président de l'Union des Eglises protestantes d'Alsace et de Lorraine. Selon lui, "Caroline Ingrand-Hoffet et les gens engagés de la paroisse ont un discours de non violence, d'apaisement" qui a contribué à éviter que la lutte ne dégénère.

A Kolbsheim - 800 âmes dans de jolies maisons alsaciennes - la pasteure donne rendez-vous au presbytère après avoir déposé à l'école ses filles de 3 et 7 ans et avant d'officier pour un enterrement. De précédentes funérailles lui ont donné l'idée de célébrer celles de la forêt disparue, avec avis de décès et tronc porté comme un cercueil.

"Les gens sont en deuil de leur forêt et un des éléments qui aident dans le deuil, c'est un rituel", explique-t-elle.

"Des gens entraient dans l'église pour la première fois, même des gens du village, et qui du coup se sont sentis un peu chez eux", souligne celle qui est arrivée à Kolbsheim en 2010 après un premier ministère dans la banlieue de Genève.

Maintenant que les arbres sont tombés et le chantier lancé, les cloches sonneront-elles de nouveau pour donner l'alerte ? "Je ne pense pas. Malheureusement."

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