Pour les migrants, la rue comme lieu de confinement

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Par Shahzad ABDUL - Paris (AFP)
Publié le 18 mars 2020 - 12:53
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Des migrants dans un parc parisien, le 16 mars 2020
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© JOEL SAGET / AFP
Des migrants dans un parc parisien, le 16 mars 2020
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Une situation "schizophrénique": des centaines de migrants se retrouvent pris en étau entre des structures d'hébergement qui ferment leurs portes, paralysées par le coronavirus, et la rue où leur présence est plus que jamais indésirable, en ces temps de confinement.

Accueils de jour, permanences... la majorité des structures dédiées aux migrants ont cessé leurs activités ces derniers jours, à mesure que la société toute entière s'est mise sous cloche sur fond de pandémie, laissant toutefois de côté cette population particulièrement vulnérable, pour laquelle aucune mesure n'est à ce jour prévue en cas d'infection au Covid-19.

Se confiner ? Augustin, un Rwandais de 38 ans, masque chirurgical sur le visage, ne demande que ça. Mais à chacun de ses appels au 115, la même réponse: aucune place disponible.

La semaine dernière encore, avec sa femme et ses trois enfants, il avait un toit sur la tête... grâce à une famille qui leur a laissé son appartement le temps des vacances.

"Mais avec l'épidémie, l'hébergement c'est terminé, les familles ont peur de nous prendre, la situation s'est détériorée. Et maintenant, il y a les mesures de confinement. On ne peut même plus rester entre nous dans un camp, il va falloir trouver une solution mais ça devient très compliqué. C'est un peu le coup de grâce", résume Augustin, au côté de sa femme, qui berce un garçon de deux ans endormi dans une poussette.

"On n'a même plus le droit d'être dans la rue", déplore auprès de l'AFP le Rwandais, rassemblé mardi soir avec une vingtaine d'autres familles dans le nord-est de Paris, pour tenter de trouver un abri.

- "Peur du virus" -

"Ils sont perdus, la situation est schizophrénique", peste Gaël Manzi, responsable d'Utopia56, association d'aide aux migrants qui a cessé d'organiser l'hébergement citoyen pour limiter les risques de propagation.

Plus largement, les migrants, dont 500 sont regroupés dans le seul bidonville d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) aux portes de Paris, sont contraints de vivre "dans des campements insalubres, malgré les mesures de confinement", ont dénoncé 24 organisations, dont la Ligue des droits de l'homme, Amnesty International ou encore La Cimade.

Elles ont réclamé la "réquisition" de lieux permettant "la mise en place des mesures sanitaires et d'hygiène nécessaires face au virus", notamment avec l'installation de points d'eau et l'accès à du savon.

"Le problème est que les structures d'hébergement sont de plus en plus nombreuses à refuser les personnes" migrantes, avec des personnels qui font massivement valoir leur droit de retrait, répond Didier Leschi, directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII).

"Nous faisons face à une situation difficile, avec un secteur social qui se désengage progressivement, et ce sont les personnes les plus vulnérables, les demandeurs d'asile, qui se retrouvent dans la plus grande difficulté, c'est kafkaïen", poursuit-il.

- "Panique" -

Pour lui, la conséquence est inévitable: "C'est la reformation progressive de camps de migrants en Ile-de-France. Tout est en train de s'arrêter".

Un constat partagé par Pierre Henry, directeur de l'association France terre d'asile, un des principaux opérateurs de l'Etat: "On opère a minima et ça tourne un peu à la panique. Il faut calmer les peurs et assumer la continuité du service, mais pour l'instant, c'est plutôt l'ambiance juin 40, les gens se tirent".

Sur les plateformes d'accueil des demandeurs d'asile, explique-t-il, les salariés "veulent des masques". "Même si ça ne sert à rien d'en porter, cela reste très difficile de leur demander d'être à leur poste", souligne M. Henry.

En attendant, dans la nuit de mardi à mercredi, George et Lilia, un couple de Kurdes trentenaires, qui attendait une solution avec Augustin dans le nord-est parisien, a finalement trouvé refuge sous une tente, de l'autre côté du périphérique, en Seine-Saint-Denis.

Casquette à l'envers, George espère que la pandémie sera vite passée. "Le virus, je m'en fous", plaisante-t-il. "La rue, c'est tellement plus dangereux!"

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