Procès Charlie : pour les survivants, des cicatrices et des cauchemars "à vie"

Auteur:
 
Par Valentin BONTEMPS - Paris (AFP)
Publié le 11 septembre 2020 - 11:00
Image
Arrivée de Simon Fieschi (avec des béquilles) au procès de l'attaque contre Charlie Hebdo, le 8 septembre 2020
Crédits
© Thomas SAMSON
/ AFP
Deux survivants de l'attaque contre Charle Hebdo, Corinne Rey, alias Coco, et Simon Fieschi, le 9 septembre 2020 au Palais de justice de Paris
© Thomas SAMSON / AFP

Il y a la douleur physique, tenace, obsédante. Et puis la souffrance morale, "abyssale". Au procès des attentats de janvier 2015, les survivants de Charlie Hebdo ont raconté cette semaine leur difficile reconstruction, ponctuée de "cauchemars" et de "crises d'angoisse".

Webmaster pour l'hebdomadaire satirique, Simon Fieschi a perdu sept centimètres dans l'attaque. La faute à une balle de kalachnikov tirée à bout portant par les frères Chérif et Saïd Kouachi, venue se loger dans sa colonne vertébrale.

"Les douleurs sont à vie. On ne peut pas s'en débarrasser", a expliqué d'une voix calme le trentenaire, qui a passé neuf mois à l'hôpital et ne peut plus se déplacer sans l'aide d'une béquille. "Désormais, je dois faire un travail de rééducation à vie".

Face à la Cour d'assises spéciale de Paris, Simon Fieschi évoque pêle-mêle les "tremblements" aux jambes, la "perte de motricité", les "difficultés de concentration", "les épisodes de tristesse et de colère"...

"Je suis en post-traumatisme et j'y resterai toute ma vie (...) C'est un effort psychique de tous les jours, une fatigue abyssale", confie le webmaster, qui a choisi de poursuivre son travail chez "Charlie", mais "à temps partiel" désormais.

Blessés par balles, miraculés, proches et amis... "Aucun d'entre nous n'a échappé à ce qui s'est passé", explique d'une voix grave Laurent Sourisseau, dit Riss, directeur de publication de l'hebdomadaire, qui évoque un "drame collectif".

- "Amputation" -

Depuis le début du procès, qui s'est ouvert le 2 septembre, le directeur de "Charlie" -- touché à l'épaule dans l'attentat -- a assisté à l'ensemble des débats, assis au fond de la salle, silencieux. A la barre, il n'élude rien de la souffrance vécue par son équipe.

"La sensation immédiate après l'attentat, c'est d'avoir été tronçonné en deux, comme si on vous privait d'une partie de vous", raconte Riss, qui décrit le sentiment de "vide" créé par la tuerie, dans laquelle 10 personnes ont trouvé la mort.

"C'est une autre mutilation, peut-être encore plus terrible que celle des corps: c'est une amputation", lâche le dessinateur, hanté depuis cinq ans par l'image de son "ami" Charb gisant inerte dans la salle de rédaction.

Chroniqueuse pour l'hebdomadaire, Sigolène Vinson doit elle aussi se battre avec des souvenirs et des visions d'apocalypse. "Cet attentat, il est en moi, comme incarné dans ma peau", lâche l'ex-avocate, qui a assisté "impuissante" à la tuerie.

Après le drame, la journaliste a longtemps fait le même cauchemar: Hayat Boumeddiene, compagne du tueur de l'Hyper Cacher Amédy Coulybaly, lui tirant "un carreau d'arbalète dans le front". Aujourd'hui, elle vit au bord de la mer et essaie de se reconstruire.

Malgré le temps, "les blessures n'ont pas cicatrisé", constate Patrick Pelloux, médecin urgentiste et ex-chroniqueur pour "Charlie", arrivé sur les lieux du drame quelques minutes seulement après l'attaque.

- "Assigné à résidence" -

Lui aussi connaît un sentiment diffus de frustration et d'impuissance, qui peine à se dissiper. "C'est difficile parce que quand on fait médecine, c'est pour sauver des gens. Et s'il y en avait bien que je voulais sauver, c'était eux", soupire-t-il.

Combien de temps durera cette souffrance ? Le "manque" va-t-il finir par s'estomper ? Veuve de Frédéric Boisseau, l'agent de maintenance tué par les frères Kouachi au tout début de l'attaque, Catherine Gervasoni n'a guère d'espoir.

"S'ils prennent de la prison, nous, on a pris jusqu'à nos derniers jours", lâche la quinquagénaire, en référence aux 14 accusés jugés pour avoir apporté un soutien logistique aux frères Kouachi et à Amédy Coulibaly, tués lors d'assauts des forces de l'ordre.

Cette sensation d'enfermement, pour les survivants de Charlie Hebdo, est amplifiée par un amas de contraintes sécuritaires: protection policière permanente, travail dans des locaux tenus secrets...

"C'est comme si j'étais assigné à résidence. Je dois prévenir de tout ce que je fais", raconte Riss, qui a dû renoncer avec sa compagne à s'engager dans une procédure d'adoption d'enfant, incompatible avec sa situation.

Pour tenir, Simon Fieschi essaye lui "de ne pas trop faire de comparaison entre l'avant et l'après" et de ne pas se regarder comme une "victime". "La victime a des droits, nous on a des devoirs: le devoir de témoigner de ce que font des armes de guerre".

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
Castex
Jean Castex, espèce de “couteau suisse” déconfiné, dont l'accent a pu prêter à la bonhomie
PORTRAIT CRACHE - Longtemps dans l’ombre, à l’Elysée et à Matignon, Jean Castex est apparu comme tout droit venu de son Gers natal, à la façon d’un diable sorti de sa ...
13 avril 2024 - 15:36
Politique
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.