Quand l'hôpital "dégringole" : à Lure, l'offre de proximité malade depuis 40 ans

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Par Elia VAISSIERE - Lure (France) (AFP)
Publié le 09 juin 2018 - 14:59
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Une infirmière prodigue des soins à l'antenne du groupe hospitalier de la Haute-Saône, basée à Lure, en juin 2018
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© SEBASTIEN BOZON / AFP/Archives
Une infirmière prodigue des soins à l'antenne du groupe hospitalier de la Haute-Saône, basée à Lure, en juin 2018
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"Quand vous avez mal, la nuit, 30 km pour aller aux urgences, ça fait une trotte", soupire Émilie. A Lure, en Haute-Saône, habitants et élus confrontés aux regroupements hospitaliers et au "délitement" des services de proximité hésitent entre colère et résignation.

A l'entrée de la ville, une banderole colorée annonce la "29e rencontre" de la "Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité". Née en 2004, elle se bat pour "une vraie égalité républicaine" dans l'accès aux soins.

"Lure est un cas emblématique,, reflétant ce qui se passe partout": une petite ville de 8.300 habitants, non loin des Vosges, où les services publics, "surtout dans le champ de la santé, reculent depuis quarante ans", résume Michel Antony, cofondateur de la Coordination.

Attablée à une terrasse animée, Ghislaine, 60 ans, se souvient des premières manifestations contre la fermeture de la maternité, dans les années 80. "On s'est battus comme des beaux diables, des dizaines de femmes manifestaient avec leurs landaus", sourit-elle.

Mais le "démantèlement" de l'hôpital commence dix ans plus tard, avec la fusion des hôpitaux de Lure et de Luxeuil-les-Bains, raconte M. Antony. La maternité, puis les soins intensifs, ferment leurs portes.

En 2002, les deux sites sont rattachés à l'hôpital de Vesoul, à 30 km, pour former le "groupe hospitalier de la Haute-Saône" (GH70). Lure perd ses urgences en 2003, transformées en centre de soins non-programmés, fermé de minuit à 8h, avec un seul urgentiste obligatoirement présent au lieu de deux. Puis le service de cardiologie et la chirurgie.

Manifestations, conférences de presse: la résistance s'organise et parvient à "sauver les soins non-programmés et le service mobile de réanimation" (Smur). Mais pour accoucher, se faire opérer et certains examens, "il faut faire 30 minutes de route, 45 pour certains villages", déplore M. Antony.

Enregistrant 10.000 passages par an, l'unité de soins non-programmés n'a "plus de laboratoire, et après 21h, pas de radiologie", note un ancien employé des trois sites.

- Pénurie de médecins -

Chaque service qui ferme engorge un peu plus les gros centres, où "on reste huit heures sur des brancards".

"C'est stressant, compliqué", gronde Annick, une habitante de 58 ans. Venu un soir pour une "montée de tension", son mari "a dû attendre ses résultats sanguins jusqu'à 22h30, le temps de promener les échantillons à Vesoul". L'amie d'Émilie, une autre habitante, a "dû accoucher chez elle, en urgence. Mais s'il y avait eu un problème?"

Pourtant, dans des territoires ruraux touchés par la désertification médicale, les regroupements sont "indispensables", assurent les autorités sanitaires.

En Bourgogne-Franche-Comté, 140 postes d'urgentistes ne trouvent pas preneurs et dans le même temps certaines lignes d'urgences sont "faiblement" fréquentées, assure l'Agence régionale de Santé (ARS). "On fait 60 à 70 heures par semaine, il nous manque 9 urgentistes", confirme un médecin du GH70.

Avec sa façade bleue et orangée, ses larges baies vitrées, ses chambres rénovées, l'hôpital de Lure est "loin d'être sinistré", réplique le directeur, Pascal Mathis.

Gériatrie, réadaptation, prise en charge de la maladie d'Alzheimer, addictologie, neurologie, pôle de santé flambant neuf: le site s'est "agrandi" et recentré sur la médecine "de pointe et diversifiée". Les médecins "veulent travailler sur des plateaux techniques complets, sophistiqués", qu'il n'est "plus possible d'avoir à trois endroits du département", explique-t-il.

"L'ARS est dans une logique de concentration et d'économies sans fin", et "menace maintenant les urgences" de plusieurs autres sites, s'insurge la conseillère régionale PS Claudy Chauvelot-Duban, dénonçant "un jeu de dominos: les urgences ferment, l'hôpital dégringole et les médecins ne reviennent jamais". Généralistes, ORL, ophtalmos: les libéraux vieillissent et ne sont pas remplacés.

Pour le maire de Lure Eric Houlley, "la politique générale de santé" est en cause: de Sarkozy à Macron, "personne n'a touché aux règles de recrutement et de répartition".

Devant son journal, Christophe se résigne: "Ils ont fermé la caserne militaire, le commissariat, le tribunal. Tout disparaît, mais les politiques s'en foutent des petites bourgades".

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