A Reims, l'histoire tumultueuse du monument aux héros de l'Armée noire

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Par Fanny LATTACH - Reims (AFP)
Publié le 06 novembre 2018 - 12:32
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Monument aux héros de l'Armée noire à Reims, photo du 5 novembre 2018
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© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP
Monument aux héros de l'Armée noire à Reims, photo du 5 novembre 2018
© FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

Erigé en 1924, détruit en 1940, reproduit en 2013: l'histoire agitée du monument aux héros de l'Armée noire à Reims, officiellement inauguré mardi par Emmanuel Macron à Reims, s'inscrit dans la reconnaissance "tardive" par l'Etat français de l'engagement des tirailleurs sénégalais pendant la Grande Guerre.

Au sommet d'un piédestal ajouré, quatre tirailleurs africains du corps d'armée colonial scrutent l'horizon autour d'un drapeau français enroulé, porté par un officier blanc, dans une allée du parc de Champagne.

"C'est une reconnaissance évidente qui a lieu et qui rappelle l'inauguration de 1924, un énorme événement avec environ 15.000 personnes au parc Pommery (l'ancien nom du parc de Champagne)", confie à l'AFP Cheikh Sakho, un professeur d'anglais d'origine sénégalaise qui a consacré une thèse à ce sujet.

"Une grande partie des tirailleurs était venue du réservoir d'hommes que constituaient le Haut-Sénégal et le Niger", soit "le Mali et Burkina-Faso actuels, près de 45% des troupes entre 1914 et 1918", indique-t-il.

La résistance des tirailleurs sénégalais au sein du 1er Corps de l'armée coloniale a même été décisive en 1918 lorsque, galvanisées par leur victoire sur le Chemin des Dames, les troupes allemandes foncent sur Reims avec l'intention de faire tomber ce dernier rempart avant Paris. Mais ces hommes font face, stoppant l'offensive ennemie... Le conflit connait alors un tournant décisif.

- "Oreilles de lapin" -

De ce premier monument, alors composé d'un bloc de granit de quatre mètres de haut, il ne reste cependant plus que des photos d'archives et des coupures de presse de son inauguration, célébrant la bravoure des soldats indigènes sur fond d'exaltation de l'empire colonial français.

En 1940, il est envoyé vers l'Allemagne et son bronze fondu: pour l'Allemagne nazie il renvoie à "la honte noire", quand en 1920 "la rive gauche du Rhin était occupée par 100.000 soldats des colonies", réminiscence "terrible" du traité de Versailles, selon Cheikh Sakho.

Une stèle le remplace en 1958, avant un nouveau monument érigé en 1963 au même endroit, deux grands blocs de pierre dépersonnifiés qui n'inspira aux Rémois que le sarcastique surnom "d'oreilles de lapin".

Grâce à l'investissement d'une association en 2009, une copie en bronze de la création originale de Paul Moreau-Vauthier a été réalisée à partir du modèle érigé à l'identique en 1924 à Bamako. Confiée au sculpteur Jean-François Gavoty, elle signe le retour des visages de ces héros de l'armée noire à Reims et dans la mémoire collective.

Emmanuel Macron, en plein périple du centenaire de la fin de la Grande Guerre, l'inaugurera aux côtés d'Ibrahim Boubacar Keïta, le président du Mali.

Ces soubresauts épousent la "tardive et timide" reconnaissance par la France de la contribution africaine, estime auprès de l'AFP le Professeur Mor Ndao, enseignant-chercheur au département d'histoire de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

La Grande Guerre a fait quelque 28.000 morts ou disparus et près de 37.200 blessés au sein des unités d'Afrique noire.

Mais le traitement des tirailleurs "a été inégal par rapport à leurs frères d'armes français et européens", dit M. Ndao, soulignant que les pensions et retraites des anciens combattants des ex-colonies, "cristallisées" en 1959, n'ont été dégelées qu'en 2001.

Par ailleurs, cette cérémonie se déroule sur le sol français, loin des familles des tirailleurs tous disparus aujourd'hui: le dernier au Sénégal est décédé le 10 novembre 1998, la veille de la cérémonie où la France devait lui remettre la Légion d'honneur. Pour M. Ndao: "C'est tout un symbole".

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