Seine-Saint-Denis : les juges pour enfants lancent un "appel au secours"

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Par Tiphaine LE LIBOUX - Bobigny (AFP)
Publié le 05 novembre 2018 - 17:30
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"Nous sommes devenus les juges des mesures fictives": l'ensemble des juges des enfants du tribunal de Bobigny ont lancé lundi un "appel au secours", assurant ne plus avoir les moyens d'exercer leurs missions en Seine-Saint-Denis, département qui cumule les difficultés.

Dans le département le plus pauvre et le plus jeune de France, les "mesures d'assistance éducative", sont soumises à des "délais de prise en charge inacceptables", écrivent les quinze magistrats, dans une tribune publiée par Le Monde et France Inter.

A Bobigny, deuxième tribunal de France, lorsqu'un juge prend ce type de décision, il s'écoule "jusqu'à dix-huit mois" avant "l'affectation" d'un éducateur chargé de l'exécuter. La raison ? "un manque flagrant de personnel", en particulier dans le secteur associatif habilité à mettre en oeuvre ces mesures. Aujourd'hui, "près de 900 mesures, soit 900 familles" sont en attente, dénoncent les juges.

En cas de violences graves, les "décisions de placement sont exécutées", précise à l'AFP, Pascale Demartini, l'une des signataires. Mais les délais de prise en charge "empirent de façon dramatique" dans d'autres situations, qui ne nécessitent pas de sortir l'enfant de sa famille: "absentéisme massif d'un très jeune" par exemple, ou des "carences affectives", "dans les soins".

"On est inquiet pour ces mineurs à qui on explique qu'ils sont en danger, qu'on va leur envoyer quelqu'un pour les aider, mais à qui on envoie personne", ajoute la magistrate, en poste à Bobigny depuis un an.

Quant aux "jugements pénaux", poursuivent les magistrats, ils sont "notifiés dans des délais (environ un an) qui leur ôtent véritablement tout sens, dans un département où les actes de délinquance sont nombreux".

Le cri d'alarme des juges s'ajoute à une série de constats alarmants sur les moyens de l'Etat dans le département.

Dernier en date: en mai, un rapport parlementaire avait montré que la Seine-Saint-Denis reste moins bien dotée que les autres territoires, avec notamment des fonctionnaires moins nombreux et moins expérimentés. Le rapport a entraîné une mobilisation "historique" des parlementaires du département, qui se sont rassemblés toutes couleurs politiques confondues début octobre à Bobigny pour réclamer à l'Etat "l'égalité républicaine".

En janvier dernier, la procureure de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, avait elle aussi lancé un cri d'alarme sur le manque de moyens dans sa juridiction. Dans un discours coup de poing, elle avait appelé à "prendre des mesures exceptionnelles pour un département exceptionnel".

Dans leur tribune, les juges des enfants dénoncent aussi une situation de "sous-effectif" chez les éducateurs du Conseil départemental, qui "ne parviennent plus à assurer correctement les missions de l'aide sociale à l'enfance".

- "Cynisme" -

Conséquence: "nous sommes devenus les juges de mesures fictives", dénoncent-ils, alertant sur des enjeux pourtant "cruciaux pour la société de demain".

"Des enfants mal protégés seront davantage d'adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l'incapacité de travailler". "Ce seront davantage de coûts sociaux, de prises en charge en psychiatrie et, ce n'est plus à prouver, de passages à l'acte criminel", poursuivent-ils. "Notre alerte est un appel au secours".

Interrogée sur France Inter, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a souligné que les juges mettaient surtout l'accent dans leur tribune sur "la protection de l'enfance en danger". "Je ne nie pas la responsabilité de l'État, mais je dis que la mise en œuvre des décisions de nature civile, cela appartient au département", a-t-elle déclaré.

Au tribunal de Bobigny, "il y a eu huit postes de magistrats supplémentaires par rapport à 2016 et il y a eu une affectation de 19 greffiers supplémentaires", a-t-elle ajouté. "Après, c'est au président du tribunal de savoir où il les affecte dans son tribunal".

"Le budget de l'aide sociale à l'enfance en Seine-Saint-Denis est le plus gros budget d'Île-de-France (hors Paris) et nous l'avons encore fortement augmenté ces derniers mois : il passera de 253 millions d'euros en 2018 à 273 millions d'euros en 2019", s'est de son côté défendu le président (PS) du Conseil départemental, Stéphane Troussel, responsable de la politique de protection de l'enfance.

Sur ce sujet, "comme sur tant d'autres, tant qu'il n'y aura pas de volonté massive et durable de rattrapage en Seine-Saint-Denis, croire que les collectivités y feront face seules relève au mieux du leurre, au pire du cynisme", ajoute-t-il.

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