Strasbourg : après les violences du Nouvel An, un "quartier" entre normalité et désespérance

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Par AFP - Strasbourg
Publié le 31 janvier 2020 - 09:54
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Une carcasse de voiture brûlée gît dans une rue de Strasbourg, le 1er janvier 2020
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© FREDERICK FLORIN / AFP/Archives
Une carcasse de voiture brûlée gît dans une rue de Strasbourg, le 1er janvier 2020
© FREDERICK FLORIN / AFP/Archives

Dans le quartier strasbourgeois de Cronenbourg, aux premières loges des violences urbaines de la dernière Saint-Sylvestre, les plus fortes depuis le tournant du siècle, les habitants ne s'étonnent pas de cette flambée et cherchent souvent le moyen de s'évader de la cité.

De nombreuses voitures brûlées, un jeune percuté par un camion de pompiers, deux soldats du feu blessés par des jets de projectiles sur leur véhicule, un hôpital psychiatrique caillassé: la "cité nucléaire" de Cronenbourg a plongé dans le chaos pour le Nouvel An.

Les jeunes du quartier ne "savent pas s'amuser ou s'éclater correctement", peste Asiya (le prénom a été modifié) qui tient un stand sur le marché, au pied des barres de cette petite cité de l'ouest strasbourgeois, bâtie dans les années 1960.

"Ce n'est qu'à Nouvel An, sinon on n'est pas dans la violence, on n'a pas peur", insiste Asiya qui réside dans un autre "quartier" strasbourgeois, le Neuhof.

Pour un grand adolescent de 18 ans adossé à un immeuble un peu plus loin, cheveux mi-longs sous son bonnet, la raison des violences ne fait pourtant aucun doute: "c'est parce qu'ils (les pompiers, ndlr) ont tamponné quelqu'un du quartier, avant c'était normal !", assure-t-il en terminant de se rouler un joint.

Cette nuit-là, les vidéos montrant un camion de pompiers circulant à vive allure au milieu des tirs de pétards et blessant un jeune ont circulé sur les réseaux sociaux.

Selon une source proche de l'enquête, l'accident s'est produit vers minuit, tandis qu'un "guet-apens" dans lequel deux pompiers ont été blessés s'est déroulé vers 02H00. Deux enquêtes doivent faire la lumière sur ces épisodes.

Mais pour Christophe Rouyer, coordinateur régional Alsace du syndicat de police Alliance, l'accident "n'est pas le seul élément déclencheur : la montée des véhicules brûlées était déjà conséquente depuis Halloween".

- "Euphorie malsaine" -

Certains habitants accusent des "grands" du quartiers de tirer les ficelles, mais pour Norbert Krebs, chef du service de prévention spécialisée de Cronenbourg, qui suit environ 150 jeunes, "les trafiquants de drogue n'ont pas intérêt aux émeutes, le commerce illicite non plus".

Contrairement à d'autres quartiers strasbourgeois, la cité nucléaire héberge surtout des trafics de cannabis, peu de drogues dures.

Lui voit plutôt dans les violences de la Saint-Sylvestre un phénomène d'"euphorie malsaine collective", "un grand jeu totalement idiot" lors d'une nuit où tout est permis. Mais aussi l'expression d'"un sentiment d'injustice par rapport à la société d'hyper-consommation". Il souligne que des jeunes ont ensuite récolté de l'argent pour aider les propriétaires des voitures incendiées.

Avant, "il y avait des étés chauds, avec des jeunes désœuvrés, maintenant presque tout le monde part en vacances mais par contre, tout s'est cristallisé autour de la période du Nouvel An", note-t-il.

Le préfet vient d'annoncer le lancement d'une vaste étude pluridisciplinaire pour mieux cerner le profil et les motivations des délinquants de la Saint-Sylvestre.

M. Krebs souligne aussi un certain effacement des services publics: "on a perdu deux postes, le bureau de police du quartier a été fermé, la mission locale a été déplacée, la maison de justice a fermé", égrène-t-il.

Accusée par des habitants excédés de ne pas avoir occupé le terrain, la police invoque le grand nombre de quartiers "chauds" cette année: "ça bougeait partout, on était débordé", admet une source policière.

Pour l'adjoint chargé des quartiers ouest, Serge Oehler, les habitants de la cité nucléaire sont en tout cas victimes d'une "double peine" : "beaucoup sont intérimaires ou travaillent dans des usines qui sont de plus en plus éloignées de la ville et quand il faut aller travailler à 04H00 du matin, la voiture est le seul moyen pour y accéder".

Le chômage touchait en 2015 30,5% des habitants et près de 45% des jeunes de ce quartier qui hébergeait initialement de nombreux Harkis, avant d'autres vagues d'immigration, des Balkans notamment.

- "Une tension constante" -

Le tableau est pourtant loin d'être uniformément noir: Cronenbourg est bien relié au centre-ville, un programme de renouvellement urbain est en cours, un vaste campus du CNRS jouxte la cité, le centre socio-culturel est dynamique...

Directeur des Disciples, une association qui propose d'innombrables activités pour un prix symbolique à des enfants de toutes origines et de toutes confessions à l'église protestante, le pasteur Gérard Haehnel est installé dans le quartier depuis le début des années 1980.

"On parle volontiers de mixité sociale, on réhabilite, on relooke, mais ce n'est pas si mixte que ça", déplore-t-il, après un mini-concert de djembé donné par deux musiciens haïtiens et des enfants ravis, dans des effluves de gâteau au chocolat.

Malgré les améliorations, on ne reste pas de gaieté de coeur à la cité nucléaire et ceux qui décrochent un CDI s'empressent de la quitter.

"Ma gamine, j'ai pas envie qu'elle grandisse ici", lâche Sandra Becker, animatrice petite enfance en cours de reconversion. A bientôt 30 ans, elle vient de revenir vivre, à contre-coeur, dans la cité où elle a grandi.

"Je ne me sens pas en danger mais mais tous les soirs ça crie, il y a des squats, une tension constante", raconte-t-elle.

Derrière elle, un engin de chantier grignote l'une des trois grandes tours qui doivent être démolies et remplacées par des logements en copropriétés.

"Faut sortir du quartier, sortir du cercle vicieux", résume un jeune planté au pied des barres.

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