A Trappes, le danger salafiste dans le viseur des autorités

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Par Antoine GUY et Jacques KLOPP - Trappes (France) (AFP)
Publié le 15 juin 2018 - 16:40
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Repli communautaire, pratique ostentatoire de la religion, défiance vis-à-vis de la République: à Trappes, comme ailleurs en France, les autorités s'inquiètent de la montée du salafisme, courant rigor
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© Fred TANNEAU / AFP/Archives
Repli communautaire, pratique ostentatoire de la religion, défiance vis-à-vis de la République: à Trappes, comme ailleurs en France, les autorités s'inquiètent de la montée du sala
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Repli communautaire, pratique ostentatoire de la religion, défiance vis-à-vis de la République: à Trappes, comme ailleurs en France, les autorités s'inquiètent de la montée du salafisme, courant rigoriste de l'islam, vu par certains comme une porte d'entrée vers le jihadisme.

A 30 km à l'ouest de Paris, Trappes est une ville pauvre au milieu du riche département des Yvelines. Trente mille habitants, la moitié de moins de 25 ans et un taux de chômage approchant des 20%, la ville a vu une cinquantaine des siens partir combattre en Irak et en Syrie depuis 2013, selon une source antiterroriste. Parmi eux: un jeune animateur de la mairie auprès d'enfants. Un chiffre confirmé à l'AFP par le maire socialiste Guy Malandain.

Dans un petit local sur deux niveaux juste en face de la mairie, au bord de cette nationale 10 qui coupe la ville en deux, Ibrahim Ayres a monté la première librairie islamique du département au début des années 2000.

Il y vend des vêtements, voiles et accessoires islamiques et reçoit entouré de livres de savants musulmans, qu'il n'hésite pas à consulter pour appuyer son propos.

Il a assisté à la montée du salafisme, "manière gentille de nommer le wahhabisme" (version saoudienne et très puritaine de l'islam), qu'il qualifie d'"idéologie mortifère". Alors que beaucoup de jeunes étaient pris dans la délinquance, selon Ibrahim Ayres, "quand les mamans ont vu leurs enfants revenir vers la pratique religieuse, c'était un soulagement". "Il y a eu un manque de vigilance", conclut-il.

Lui-même confesse avoir vendu des ouvrages de savants wahhabites dans sa boutique avant d'y mettre un terme, devant l'influence de ces penseurs sur la jeune génération.

Le salafisme, qui prône une lecture littérale du Coran, s'est immiscé au cœur du débat en France au fil des attentats jihadistes qui ont frappé le pays ces dernières années. "Tous les salafistes ne sont pas terroristes mais tous les terroristes sont salafistes", a déclaré l'ancien Premier ministre Manuel Valls.

Le mouvement reste très minoritaire en France mais il a clairement "le vent en poupe, notamment chez les jeunes de quartiers, et va continuer à se développer s'il n'y a pas une offre pour le concurrencer", souligne l'islamologue Rachid Benzine, natif de Trappes.

Selon les services de renseignement, de 5.000 en 2004, le nombre de pratiquants du salafisme en France est aujourd'hui estimé entre 30.000 et 50.000, sur une population d'environ 6 millions de musulmans.

- "Pas que des saints ici" -

A Trappes, "capitale d'Europe des départs en Syrie", "une minorité de musulmans adhère à cette idéologie", avance le libraire Ibrahim Ayres, qui se targue d'avoir dissuadé cinq jeunes de partir faire le jihad.

"Qu'il y ait un certain nombre d'acteurs de l'esprit salafiste à Trappes, bien sûr. Il n'y a pas que des saints ici. Mais nous n'avons aucune association qui soit dominée ou conduite par", assure le maire Guy Malandain.

Reste que le gouvernement a placé la ville sur la liste des trente quartiers de "reconquête républicaine" impliquant des moyens et des effectifs supplémentaires pour la police.

Les émeutes de 2013 à la suite d'un contrôle mouvementé d'une femme en niqab, considérées comme les premières d'origine religieuse en France, restent "un souvenir traumatisant" pour les policiers.

"Indiciblement, progressivement", l'islam radical "devient la normalité", relate un policier qui souhaite rester anonyme et se rappelle encore le siège en 2013 du commissariat par 200 personnes portant "la haine dans les yeux".

Aux Merisiers, le quartier où réside la majorité de la communauté musulmane de Trappes, rien ne sort pourtant de l'ordinaire. Un programme de rénovation urbaine a permis de remplacer des tours par des immeubles à taille humaine et des squares verdoyants.

Dans le bar de la place du marché, trois jeunes filles prennent un café au comptoir, et quelques "chibanis" - des retraités d'origine nord-africaine - sirotent le thé sur des chaises en plastique. L'endroit est presque vide pour cause de ramadan. Le gérant Allal assure ne pas connaître les fondamentalistes, "ils ne viennent pas ici". En revanche, il affirme que depuis que son bar a arrêté la vente d'alcool en 2015, "le chiffre d'affaires a été multiplié par quatre".

En ville, les boucheries sont désormais toutes hallal. Sur le marché, une majorité de femmes porte le voile. Selon un rapport confidentiel émanant d'une source judiciaire en 2016, près de 80 familles préfèrent l'enseignement à domicile pour leurs enfants à la fréquentation de l'école républicaine.

Devant la mosquée, imposant édifice blanc d'une capacité de 2.400 places le long d'une avenue fleurie, le sujet du fondamentalisme est difficile à aborder avec les fidèles venus pour la prière du vendredi. Ils préfèrent décliner poliment les questions.

- Repli identitaire -

"Il y a une volonté de marquer sa vie sociale par son appartenance religieuse", avance Guy Malandain, qui conteste cependant le qualificatif de "territoire en marge de la République".

"Ce qui m'embête, c'est la montée d'un discours de repli identitaire", souligne Othman Nasrou, chef de la droite locale, "surpris par la proportion de jeunes qui disaient que c'était bien fait pour Charlie Hebdo", visé par un attentat en 2015 après avoir caricaturé Mahomet.

Il dénonce également "l'omerta" qui règne à Trappes sur le sujet et accuse certains élus de faire preuve de "clientélisme". "Le tabou fait que les familles (confrontées à la radicalisation) ne sont pas prises en charge", s'indigne M. Nasrou.

Le maire conteste ces accusations et assure faire preuve de fermeté face aux revendications communautaires. Comme lorsque des femmes sont venues demander des créneaux pour elles seules à la piscine. Ou quand, "pendant quelques vendredis, il y a eu des appels à la prière par haut-parleurs" et qu'il a dû appeler l'Union des musulmans de Trappes (UMT) pour leur demander de cesser.

L'association, réputée proche des Frères musulmans, n'a pas souhaité répondre aux questions de l'AFP.

Face aux dangers du communautarisme, le maire en appelle à une clarification urgente de l'Etat, alors que le président Emmanuel Macron doit prochainement présenter son plan sur la relation entre la République et le culte musulman. Il prévient: "Si on ne met pas en valeur les partisans d'un islam tempéré, européanisé, on aura de grandes difficultés".

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