Troubles mentaux : quand les banlieues s'emparent d'une blessure taboue

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Par Alexandra DEL PERAL - Créteil (AFP)
Publié le 14 juin 2019 - 09:53
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Le burn out toucherait "des dizaines de milliers de personnes", selon un député français
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© Philippe Huguen / AFP/Archives
Le burn-out fait son entrée dans la classification des maladies de l'OMS.
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"Cafés psychos", ateliers-débats, plateformes interactives: pour briser le "tabou" autour des troubles mentaux, des villes de banlieue parisienne multiplient les initiatives de prévention et d'échanges sur ce mal qui touche un Français sur cinq à un moment de sa vie.

Les habitants de banlieue, plus enclins aux troubles mentaux ? Pour Antoine Pelissolo, psychiatre à l'hôpital Henri Mondor de Créteil, "les conditions de vie détériorées" qui marquent certains territoires "peuvent amplifier ces phénomènes psychiques". Pauvreté, chômage, violence, isolement : "la banlieue cumule beaucoup de problèmes", rappelle-t-il.

Consciente de cet enjeu, la ville de Créteil, au sud de Paris, organise une fois par mois depuis le printemps des "cafés psychos". Animés par le Docteur Pelissolo, ces séances d'une heure et demi sont un temps d'échange avec les habitants sur des thématiques liées à la santé mentale.

"Anxiété, dépression, addictions .... Cela nous concerne tous et pourtant, peu de gens osent dire qu'ils en souffrent car dès qu'on parle de santé mentale, on pense instinctivement à l'asile et aux fous", déplore le psychiatre.

La folie, c'est justement la première chose à laquelle a pensé Emilie (prénom modifié) lorsqu'elle a appris que son fils de 17 ans souffrait de dépression. "Ça m'est tombé dessus un matin. Du jour au lendemain, il n'a plus voulu mettre les pieds dehors. J'étais démunie et complètement terrifiée", confie cette mère célibataire de quatre enfants au chômage, rencontrée à un café psycho.

Depuis, elle a trouvé du soutien auprès de médecins et psychologues mais explique "cacher" la maladie de son fils à ses proches "par peur de jugements blessants à l'emporte-pièce".

"Honte, peur ... C'est ce que ressentent beaucoup de personnes qui viennent ici et qui vivent ces troubles comme une blessure", explique Audrey Bonin qui coordonne ces rencontres.

Ce travail d'information et de pédagogie, le sociologue Michel Joubert en a constaté l'urgence au début des années 1990, lors de recherches menées à Saint Denis, en Seine-Saint-Denis.

- "Seuls face à un problème immense" -

La ville demande au chercheur de sonder les habitants de ce désert médical sur leur besoin en matière de soins. A la surprise générale, ce sont les troubles psychiques qui reviennent sans cesse.

"Les gens venaient nous voir pour nous dire qu'ils +allaient mal+, qu'ils +n'avaient plus la force+, voire qu'ils étaient sur le point de +péter un câble+", détaille le chercheur.

"A cette époque, personne ne parlait de santé mentale. Nous étions seuls face à un problème immense", se souvient-il.

Alertée, la ville se dote d'un conseil de santé mentale, une structure qui existe désormais dans de nombreuses villes mais qui au début des années 2000 commençait tout juste à voir le jour.

"L'idée, c'était de mettre autour de la table soignants, chercheurs et élus pour élaborer ensemble un plan d'action", détaille Elizabeth Belin, adjointe au maire PCF de Saint-Denis.

Ancrer la santé mentale dans la ville pour en finir avec les clichés autour de +l'asile de fous+, tout en faisant du citoyen un acteur de sa guérison: cette stratégie, d'abord pensée par une poignée de villes pionnières, est aujourd'hui au coeur des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de santé mentale.

A Saint-Denis, après le diagnostic, les projets ont fait florès. Comme ce partenariat avec la mission locale visant a détecter des jeunes en souffrance qui pourraient basculer dans la délinquance.

Prévention encore, comme lorsque la ville de Créteil décide de former ses agents, notamment ceux au contact de la population, aux troubles psychiques dans le but d'identifier les profils à risque et de leur proposer une offre de soin.

En première ligne dans la bataille, ces villes disposent d'un soutien financier de l'Etat, via l'agence régionale de santé (ARS), qui leur permet de pérenniser des dispositifs existants. "Pas suffisant", pour le chercheur Michel Joubert, pour qui les autorités "n'ont pas encore pris l'ampleur du défi présent et à venir".

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