Au Cachemire pakistanais, soleil rime avec mines antipersonnel

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Par Sajjad QAYYUM - Vallée de Neelum (Pakistan) (AFP)
Publié le 06 juillet 2018 - 08:15
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Un membre du Croissant-Rouge explique les dangers des mines antipersonnel à des habitants d'Abbaspur, le 22 février 2018 au Cachemire pakistanais
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© SAJJAD QAYYUM / AFP
Un membre du Croissant-Rouge explique les dangers des mines antipersonnel à des habitants d'Abbaspur, le 22 février 2018 au Cachemire pakistanais
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Alors que le soleil estival réchauffe les verdoyantes vallées du Cachemire pakistanais, neige et glaciers fondent, découvrant des mines antipersonnel qui dévalent lentement les pentes en direction des villages situés en contrebas.

Posées par des militaires des deux côtés de la Ligne de contrôle (LOC), une zone ultra-militarisée qui fait office de frontière entre Inde et Pakistan dans cette région himalayenne disputée, les engins explosifs blessent, voire tuent, des dizaines d'habitants chaque année.

"C'est une zone montagneuse. Notre village se trouve en bas et les positions ennemies sont en haut", explique Muhammad Sulaiman, un homme de 72 ans qui vit à Bugna, un village de l'abrupte vallée de Neelum.

Lorsque la neige fond, dit-il, "les mines dégringolent d'en haut jusqu'à notre village".

Et les habitants, qui traversent fréquemment à gué les nombreux cours d'eau qui descendent jusqu'à la vallée lors de leurs occupations quotidiennes, "tombent sur des mines et en deviennent les victimes", souligne-t-il.

Le nombre de mines qui pénètrent ainsi chaque année dans des territoires habités est difficile à estimer, la zone concernée étant vaste et certains incidents étant passés sous silence par les villageois.

Mais, de fait, les habitants disent se sentir plus en sécurité l'hiver que l'été, quand la hausse des températures fait monter la pression et la nervosité de tous.

- Fondues dans le paysage -

Comme M. Sulaiman, Salima Bibi vit à Bugna. De tous les villages du Cachemire pakistanais, ce hameau de 1.500 âmes est celui qui est situé le plus près de la LOC, dont il est presque contigu.

En septembre, Mme Bibi était partie couper de l'herbe pour ses bêtes et ramasser du petit bois pour la cuisine, comme le font régulièrement des femmes du village.

"Je traversais un petit ruisseau", raconte-t-elle à l'AFP dans sa maison. "Tout à coup, il y a eu une explosion. Je suis tombée par terre, je saignais."

Evacuée en urgence à Muzaffarabad, chef-lieu du Cachemire pakistanais, Mme Bibi y est restée hospitalisée deux mois tandis que les médecins tentaient en vain de sauver sa jambe blessée. Elle a dû être amputée et se déplace désormais à l'aide d'une prothèse fournie par un hôpital de la Croix-Rouge.

Cette mère de trois enfants vêtue d'une tenue traditionnelle se tord les mains de désespoir lorsqu'elle relate à l'AFP les difficultés qu'elle éprouve désormais à accomplir ses tâches quotidiennes.

"Je ne veux pas que d'autres subissent la même chose que moi", lâche-t-elle.

Ce drame l'a convaincue de participer à une campagne d'information sur les mines lancée en 2011 par le Croissant-Rouge dans la région.

L'organisation lui fournit des affiches et des documents détaillant les différents types de mines et autres engins comme les obus de mortiers ou d'artillerie, afin d'aider les villageois à identifier le danger et à l'éviter.

Les mines antipersonnel sont souvent de petite taille et parfois peintes de manière à se fondre dans le paysage. On les trouve mi-enterrées dans l'herbe le long des ruisseaux.

- Un pied en moins -

"Je coupais de l'herbe lorsque j'ai marché sur une mine" en 2013, raconte Muhammad Arif, un habitant du village de Polas, près de la LOC. Cet ouvrier a de 52 ans a lui aussi été amputé d'une jambe.

Muhammad Rafiq, 46 ans et qui vit à Polas, a connu un sort similaire. Ce menuisier de profession s'était rendu dans la forêt pour couper du bois lorsqu'il a heurté une mine qui lui a arraché un pied. Il vit désormais de petits boulots pour nourrir ses cinq enfants.

"Je n'avais pas de problème lorsque j'avais mes deux vraies jambes", déclare-t-il à l'AFP.

Les volontaires du Croissant-Rouge font du porte-à-porte pour informer les habitants. Ils disent avoir déjà parlé à plus de 200.000 personnes.

Yasir Arafat Kazmi, qui gère le programme, note que le nombre de victimes recensées a diminué depuis le début de la campagne dans la région: de 61 en 2015 à 13 en 2017.

Depuis 2011, l'ONG a orienté quelque 250 victimes de mines vers des centres de rééducation qui les ont équipées de prothèses.

- Trop brève trêve -

Les tirs d'obus se sont multipliés le long de la LOC ces derniers mois, symptôme de tensions de plus en plus vives entre Inde et Pakistan, alors que le conflit reste entier et le dialogue au point mort.

Les deux puissances nucléaires revendiquent toutes deux depuis 1947 le Cachemire, vaste territoire montagneux à population majoritairement musulmane, et se sont déjà livré deux guerres à son sujet.

Elles s'étaient tenues relativement tranquilles pendant une décennie après le dernier cessez-le-feu en date, qui remonte à 2003.

Mais le nombre d'incidents à la frontière n'a cessé de croître depuis la mi-2016, atteignant des niveaux inédits depuis 15 ans, sans solution en vue. Une trêve annoncée en juin n'a duré que quelques jours.

M. Kazmi déplore que ces tensions accrues entravent les efforts de son organisation pour informer les populations sur les risques liés aux mines.

"Nos équipes de terrain ne se rendent pas dans les zones à proximité de la LOC car leurs propres vies sont en danger", souligne-t-il.

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